Sarah est une jeune femme travaillant dans le département marketing d’une grosse PME. Très impliquée et consciencieuse, elle tombe souvent dans le piège du perfectionnisme. Il y a quelques jours, elle a réalisé une présentation importante devant le comité de direction, mais a commis une petite erreur en énonçant des chiffres. Bien que cette erreur n’ait eu aucun impact significatif sur la qualité de sa prestation, Sarah bloque sur cette erreur. Elle ne cesse de se la remémorer. Elle se repasse mentalement la scène, s’imaginant à quel point elle a dû paraître incompétente. Bien qu’elle ait été félicitée pour sa présentation, elle est incapable d’entendre ces feedbacks positifs. Elle rumine son erreur. S’en remémore d’autres. En conclue qu’elle est bête etc… ça tourne ainsi en boucle dans sa tête depuis plusieurs jours.
Boris vient de devenir papa. Depuis la naissance de son fils, il se sent submergé par l’angoisse. Il est constamment hanté par la peur de mal faire. Boris imagine alors des tonnes de scénarios catastrophes. Et si son enfant tombait malade et qu’il ne savait pas comment réagir ? Et s’il ne parvenait pas à subvenir aux besoins financiers de la famille ? Et s’il n’était pas à la hauteur en tant que père ? Ces ruminations l’empêchent de profiter pleinement des moments uniques qui s’offrent actuellement à lui.
Nadia sort d’une relation amoureuse de longue date. Bien que cette rupture ait été son choix, elle ne parvient pas à passer à autre chose. Elle passe ses journées à revisiter mentalement les moments passés avec son ex, se demandant pourquoi et à quel moment, ça a commencé à mal tourner. Elle se remémore les disputes, les petites phrases assassines prononcées par l’un et l’autre, ce qu’elle aurait dû faire ou dire…
Sarah, Boris et Nadia ruminent et en souffrent.
Qu’est-ce que la rumination ?
Les ruminations sont des pensées répétitives et persistantes centrées sur un thème négatif. Elles se manifestent souvent par des questionnements sans fin sur des situations passées, des regrets ou des inquiétudes sur l’avenir. La personne qui rumine est piégée dans un cycle mental où elle revisite constamment les mêmes idées ou souvenirs, sans que cela aboutisse à une solution satisfaisante. En anglais, on appelle ça « l’overthinking » (le fait de trop penser).
Cependant, penser ne veut pas dire réfléchir. C’est la distinction essentielle entre les ruminations et la réflexion. En effet, quand on rumine, on ressasse les difficultés et on n’aboutit à aucune solution. Alors que la réflexion, elle, doit permettre d’avancer.
Christophe André, psychiatre et auteur, propose de se poser trois questions pour distinguer les ruminations de la réflexion.
Depuis que je réfléchis à ce problème :
- Ai-je l’impression d’avoir avancé vers une solution ?
- Ai-je le sentiment d’y voir plus clair ?
- Est-ce que je me sens soulagé d’y avoir pensé ?
Si on répond non à ces 3 questions, c’est qu’on est en train de ruminer plutôt que de réfléchir.
« les ruminations sont un leurre : malgré notre intelligence, elles nous trompent, car on croit réfléchir, alors qu’on ressasse. Elles nous abusent car on pense être dans le réel, le réel de nos soucis, alors qu’on est dans le virtuel, le virtuel de nos craintes ou de nos regrets » Christophe André
Pourquoi rumine-t-on ?
La rumination est un processus auquel nous sommes tous soumis à un moment ou un autre de notre vie. Il s’agit en effet d’une réaction naturelle du cerveau face à des situations perçues comme menaçantes ou stressantes.
Dans ce cas, des émotions désagréables, comme la colère, la tristesse ou encore la peur, se déclenchent. Si nous n’étions pas dotés d’un cortex préfrontal, nous nous contenterions d’agir (fuite, paralysie, attaque) et de ressentir. Mais comme nous sommes des êtres intelligents, des pensées se mettent en marche. Nous essayons de comprendre ce qui s’est passé afin d’éviter que cela se reproduise. Nous cherchons également des solutions. Sauf que, parfois, notre cerveau dysfonctionne. Nos pensées ne conduisent pas à une réflexion, mais à des ruminations. Nous sommes alors bloqués dans des questionnements de type « pourquoi » (pourquoi moi ? pourquoi il fait toujours ça ?.…) et nous ne nous basons plus sur des faits, mais sur des ressentis et des interprétations (je suis nulle. c’est toujours comme ça que ça se passe. De toute façon, quoi que je fasse, il m’en voudra toujours…).Et voilà le cycle infernal des ruminations qui se met en place.
Cela peut avoir des effets très néfastes sur la santé. La rumination est ainsi souvent associée à des troubles dépressifs, de l’anxiété, ou encore des troubles de l’alimentation. Cela peut également affecter la qualité du sommeil, augmenter la tension artérielle, et affaiblir le système immunitaire, ce qui accroît la vulnérabilité aux maladies.
Il est donc essentiel de ne pas se laisser envahir par ce processus mental particulièrement nocif.
La question est comment ?
« En nous accrochant à nos pensées douloureuses, en les ruminant, nous les solidifions. Nous leur donnons du corps et de l’importance. Nous ruminons nos maux et nous en faisons des monstres. La rumination, c’est la solidification du bavardage de l’esprit. D’une réaction banale, nous faisons une souffrance. Sans le vouloir » Christophe André
Comment stopper les ruminations ?
Même si ce n’est pas toujours facile, il est possible de briser ce cycle des ruminations.
Je vous propose ici plusieurs techniques et stratégies validées par des recherches scientifiques et qui émanent des recommandations de professionnels de la santé mentale. Certaines vous parleront. D’autres non. C’est OK. L’idée n’est pas de tout faire. Mais de tester. Et ensuite d’adopter les techniques qui fonctionnent pour vous.
1.Prendre conscience de ses pensées
La prise de conscience est souvent la première étape indispensable. Cela peut sembler simple, mais on pense souvent réfléchir, alors qu’on rumine. Je vous invite alors à reprendre les 3 questions proposées par Christophe Andre.
Il est aussi utile de distinguer la qualité de nos pensées. S’agit-il de faits ou d’opinions ? Quand on rumine, on penche davantage du côté des opinions, même si, à force de les rabâcher, on finit par croire que c’est la vérité et donc un fait objectif.
2. Pratiquer la pleine conscience
La pleine conscience, ou mindfulness, est une technique qui consiste à porter attention de manière intentionnelle et sans jugement au moment présent. Cette pratique permet de se détacher des pensées négatives et de revenir à l’ici et maintenant. Je vous propose 2 approches différentes :
- Le scan corporel : il consiste à porter une attention systématique et bienveillante à chaque partie de son corps, de la tête aux pieds (ou inversement). L’objectif est de prendre conscience des sensations physiques présentes dans chaque zone, qu’il s’agisse de tensions, de picotements, de chaleur, ou d’autres sensations. En faisant cela, on développe une plus grande conscience de son corps et de l’état de chaque partie, ce qui peut aider à réduire le stress, l’anxiété et les ruminations.
- L’exercice des 5 sens : il s’agit d’une technique qui aide à se recentrer sur le moment présent en utilisant les cinq sens. L’objectif est de calmer l’esprit en se concentrant sur des stimuli sensoriels concrets plutôt que sur les pensées ou préoccupations. Pour cela, commencez par identifier 5 choses que vous voyez et pour chacune, prenez le temps de la regarder en détail. Ensuite, approchez-vous de 4 choses que vous allez toucher. Prenez à chaque fois le temps de pleinement solliciter ce sens. Maintenant, prêtez attention à 3 choses que vous entendez, puis à 2 choses que vous sentez et enfin, 1 chose que vous gouterez. À chaque fois, prenez le temps de ressentir complètement, d’évaluer les similitudes et différences, ce qui vous est agréable et ce qui l’est moins…
Enfin, si vous avez davantage besoin d’être guidé, voici une méditation proposée par Christophe André.
3. Ecrire
L’idée ici n’est ni de faire une belle rédaction, ni d’envoyer ensuite son texte à qui que ce soit. L’objectif est d’extérioriser ses pensées envahissantes.
Installez-vous dans un endroit tranquille où vous savez que vous ne serez pas dérangé. Prenez une feuille et un crayon (important de le faire sur une feuille et non sur un outil digital). Et ensuite, couchez sur papier tout ce que vous pensez, tout ce que vous ressentez. Surtout, ne vous jugez pas. Ne vous autocensurez pas. Ne cherchez pas à faire de belles phrases. Ni à élaborer une pensée cohérente et progressive. Sortez simplement les phrases telles qu’elles émergent dans votre tête. Tant que des pensées et des émotions vous submergent, continuez d’écrire.
Quand vous sentez que tout est sorti, vous pouvez vous arrêter. Il n’est pas nécessaire de relire ce que vous avez écrit. C’est même plutôt déconseillé, car ça pourrait réactiver la machine à penser et ruminer. Il ne vous reste alors plus qu’à vous débarrasser symboliquement de cet écrit, par exemple en le brulant ou encore en le déchirant. Cela permet également de s’assurer que personne ne puisse tomber dessus plus tard.
4.Bouger
Les ruminations nous bloquent dans le mental. Une bonne façon de contrecarrer cela est alors de solliciter le corps.
Allez faire du sport, promenez vous dans la nature, rejoignez des amis, faites du jardinage etc.. Peu importe l’activité. Ce qui compte, c’est de détourner notre attention vers une activité qui sollicite notre corps plutôt que notre mental.
5. Prendre RDV avec ses ruminations
Ça va vous sembler peut-être étonnant, mais c’est une méthode qui a fait ses preuves. Le principe : maitriser l’émergence des ruminations. Pour cela, fixez un RDV de 20 min avec vos ruminations tous les jours à la même heure. Par exemple, tous les soirs à 19H.
Imaginez que vos ruminations soient comme un ami que vous voyez désormais tous les soirs de 19H et 19H20. Et comme un ami, vous les accueillez comme il se doit, vous vous installez confortablement dans un endroit tranquille et vous vous consacrez 100% à elles pendant ce rdv.
Pour que ça fonctionne, vous devez impérativement :
- Renvoyer vos ruminations au créneau fixé, si jamais elles tentaient une approche à un autre moment de la journée
- Honorer votre rdv tous les jours (il est conseillé de se mettre un rappel chaque jour sur son téléphone)
- Respecter les 20min imparties (ni plus, ni moins). Un minuteur sur votre téléphone vous permettra de garantir le timing.
Ainsi, vous pouvez vivre 23H40/24H en étant plus libérés mentalement. Et qui sait, peut-être que les ruminations finiront même par ne plus se présenter du tout, vous posant de plus en plus de lapins pour vos RDV…
6. Chercher du soutien
Parfois, les ruminations sont trop intenses pour être gérées seul. Dans ce cas, il peut être utile de consulter un professionnel de la santé mentale. Les thérapies comportementales et cognitives (TCC) sont particulièrement adaptées à cette problématique. Vous pouvez aussi chercher de l’aide dans des approches comme la sophrologie ou l’hypnose.
Dans tous les cas, il est important d’agir, car des ruminations non traitées vont rarement s’arranger toutes seules. Le problème va plutôt avoir tendance à s’aggraver et c’est votre santé mentale et physique qui est en jeu.
Soyez également indulgent et bienveillant envers vous-même. Rappelez-vous que les ruminations sont un phénomène naturel auquel nous sommes tous confrontés à un moment ou un autre. Tourner autour de pensées du type « je suis vraiment nul », « je sais que je ressasse ça, alors que ça ne sert à rien », « pourquoi est-ce que je suis comme ça ??? », c’est à nouveau mettre en marche la machine à ruminer et ça n’est absolument pas aidant. Mais peut-être que, pour le moment, c’est malgré tout comme ça que vous avez envie de fonctionner. C’est OK. Un jour, vous vous sentirez prêts. Vous aurez envie de changement. Naturellement, la question ne sera alors plus « pourquoi je rumine ? », mais « comment arrêter de ruminer ? ». Il sera alors temps de tester ces différentes options.
Prenez soin de vous
Marion