Matthieu est à bout. Il me raconte à quel point son quotidien professionnel est devenu intenable. Il aime son travail, mais aujourd’hui, les conditions pour le faire sont désastreuses. On lui demande de faire toujours plus avec moins. Et en face, il se retrouve face à des clients mécontents. Il alerte sa direction depuis plusieurs années, mais personne ne l’écoute ! L’autre jour, en entretien avec son manager qui lui reprochait la non atteinte de certains objectifs, il a fini par exploser. 

Amira est directrice d’un Ehpad. Elle rencontre quelques difficultés avec certains de ses salariés qui délaissent complètement certaines tâches. Elle soupire. Elle sait à quel point il est difficile de recruter. Elle sait aussi que ces personnes font du bon travail avec les résidents. Elle ne veut donc pas prendre le risque de créer des tensions, et pire, de les perdre. Elle prend donc sur elle et fait ce qu’ils auraient dû faire.

Damien fait partie du bureau d’une association sportive depuis plusieurs années. Il me raconte qu’un parent « lui est tombé dessus » pour se plaindre d’un certain nombre de choses. Damien était avec ses enfants. Il estime que d’une part, ce n’est pas le bon moment et que d’autre part, il n’est pas nécessaire de monter le ton pour évoquer des points de mécontentements. Il sait que tout n’est pas parfait. Mais il trouve que les gens oublient un peu trop souvent que le bureau ne réunit que des bénévoles. Il sent la colère monter. Il serre les poings. Respire profondément et parvient à garder son calme. Il propose à son interlocuteur un RDV ultérieur pour parler de tout ça.

La colère est une émotion universelle et puissante que nous ressentons tous à divers moments de notre vie. Elle est généralement perçue comme négative. Or, elle joue un rôle essentiel dans notre bien-être et nos interactions sociales. Tout dépend de la façon dont nous l’exprimons.

Qu’est-ce que la colère ?

La colère est une émotion qui peut se manifester à différents degrés allant de l’agacement, l’irritation, à la rage.

Nous ressentons cette émotion lorsqu’une situation ne nous convient pas et que nous avons alors besoin de défendre notre intégrité, obtenir un changement ou encore être entendu.

La colère se manifeste lorsque quelque chose d’important pour nous n’est pas satisfait. 

la colère

Cette émotion est donc très en lien avec nos valeurs. Quand nous avons le sentiment que nos valeurs sont respectées, nous ne sommes pas en colère. Mais dès que nous avons le sentiment que nos valeurs ne sont pas respectées, voire carrément bafouées, là, le mécanisme de la colère se met en place.

“La colère est comme une tempête qui se lève du plus profond de l’âme, elle remplit l’air de tension et nous met en garde contre le danger de ce qui est contraire à nos principes.” Thich Nhat Hanh (Moine vietnamien)

La colère est une émotion qui nous pousse à nous affirmer et à poser des limites de ce qui est OK et de ce qui n’est pas OK pour nous. C’est donc un puissant moteur d’action et de changement. C’est la colère qui nous pousse à agir pour défendre ou obtenir des droits, nous protéger contre des abus etc… En ça, la colère est une puissante alliée. Nous avons profondément besoin d’elle. Tout l’enjeu réside alors en son expression. Pour ça, reprenons le mécanisme en 3 temps des émotions :

  • Etape 1 : la charge. Notre cerveau perçoit un stimulus (visuel, auditif, olfactif…) et notre amygdale déclenche la charge de l’émotion. Dans le cas de la colère, les facteurs déclencheurs sont tout ce que nous allons voir, entendre ou ressentir, qui nous connectent à un sentiment de menace, d’injustice ou encore de frustration.
  • Etape 2 : la tension. Notre corps se met en tension. La colère déclenche ainsi automatiquement une activation de notre système nerveux sympathique, libérant du cortisol et de l’adrénaline. Notre rythme cardiaque et notre pression artérielle augmentent, nos muscles se tendent. Bref, notre corps se prépare à réagir

  • Etape 3 : la décharge. Nous libérons, par une action, la charge énergétique créée. Dans le cas de la colère, la décharge se fait instinctivement par l’action de combattre ou fuir. Nous verrons d’autres stratégies de décharge dans la dernière partie de l’article.

Il est important de comprendre que les deux premières étapes sont des mécanismes inconscients. Nous ne pouvons pas agir dessus. Donc, nous ne choisissons pas d’être en colère. La seule chose que nous pouvons choisir, c’est ce qu’on en fait. C’est-à-dire l’étape 3. Privilégions-nous pour une colère passive ? une colère agressive ou une colère assertive ?

« Entre le stimulus et la réponse, il y a un espace. Dans cet espace se trouve notre pouvoir de choisir notre réponse. » Viktor Frankl

Les différentes formes d’expression de la colère

1. La colère agressive

Instinctivement, quand nous sommes en colère, nous le manifestons avec vigueur ; En effet, nous avons besoin de décharger toute la tension accumulée ; alors, nous haussons la voix, nous tapons du poing sur la table, nous claquons la porte, et nous pouvons aller jusqu’à faire preuve de violence verbale et/ou physique envers les autres ou envers nous-même.

Cette colère agressive est une réaction naturelle. Il n’y a qu’à voir comment un enfant réagit à ses premières frustrations. C’est par l’éducation que l’enfant va apprendre à verbaliser ce qui ne va pas, à accepter la frustration pour ne pas agir avec agressivité etc… Cependant, c’est un processus d’apprentissage et de maitrise de soi qui nous accompagne tout au long de notre vie, car cette réaction est tellement naturelle qu’on peut vite retomber dans ce piège. C’est le cas de Matthieu qui n’a pas pu se contenir. Après coup, même s’il estime que sa colère est légitime, il regrette son comportement et en craint les conséquences. 

C’est tout le problème de la colère agressive. Sur le coup, ça peut faire du bien car c’est la forme d’expression de la colère qui permet la décharge la plus rapide et intense.  Mais les conséquences sont rarement bénéfiques 

  • des actes de violence verbale ou physique qui dégradent nos relations avec les autres, mais aussi avec nous-même
  • des décisions impulsives qu’on peut regretter par la suite
  • des conflits réguliers dans la vie de tous les jours qui finissent par être épuisants et dégradent notre qualité de vie, voire même notre santé.
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C’est pour ces raisons que nous associons souvent la colère à quelque chose de négatif et donc à une émotion à étouffer. Mais cela n’est pas non plus la meilleure des stratégies…

2. La colère passive

La colère passive est une colère qui n’est pas exprimée. Ou alors de façon tellement retenue qu’il n’est pas évident de comprendre que la personne ressent de la colère.  C’est exactement ce que fait Amira. Elle ne dit rien de son agacement. Mais, si on prête attention à son non verbal, sa colère est visible. Quand nous faisons ça, nous espérons que les autres comprennent que quelque chose ne nous convient, mais sans avoir à le dire. Ce serait l’idéal, non ? Ainsi, on évite la confrontation. Cette forme de colère nous parait plus acceptable que la colère agressive. Mais c’est loin d’être l’idéal, notamment pour 3 raisons :

  • il y a un risque que les autres ne comprennent pas le message. Soit, ils ne voient pas la colère puisqu’elle n’est pas verbalisée. Soit, ils ne comprennent pas la raison de la colère ou l’interprètent autrement (par exemple, on pourrait se dire qu’Amira a passé une mauvaise journée, qu’elle a des problèmes personnels, etc.). Bref, le message n’est pas passé. Et donc, dans ce cas, peu de chance d’obtenir un changement
  • il y a un risque de perte de légitimité. Dans le cas d’Amira, on pourrait tout à fait estimer que les salariés savent très bien ce qu’ils sont censés faire et ont donc bien conscience de ne pas être au RDV sur une partie de leur travail. Mais devant le silence d’Amira sur ce sujet, ils peuvent se dire que soit elle ne voit pas et donc n’est pas une très bonne directrice. Soit, elle voit, mais n’ose pas leur dire. Et donc elle n’est pas une très bonne directrice. Dans tous les cas, ça peut leur donner des envies de continuer à pousser un peu plus loin pour voir à quel moment elle va finir par réagir.
  • enfin, il y a un risque d’aboutir à l’effet cocotte-minute. Car nous avons tous nos limites. À un moment donné, Amira va en avoir marre. Toute la tension et les griefs accumulés vont finir par exploser au grand jour. Souvent pour une broutille. Mais c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Et voilà qu’on bascule dans la colère agressive. 

“La colère rentrée n’a pas de limite à son expression.” Mark Twain

La très grande majorité des gens oscillent entre colère passive et colère agressive. C’est ce qui nous fait dire que la colère n’est pas positive. Mais si on apprend à développer une colère constructive, alors là, on peut aboutir à des situations beaucoup plus saines.

3. La colère constructive

La colère constructive nous invite à prendre un chemin entre la passivité et l’agressivité en faisant preuve d’assertivité. L’assertivité étant une forme d’expression qui permet l’affirmation de soi dans le respect de l’autre. C’est exactement ce qu’a fait Damien en respectant son interlocuteur, tout en se respectant lui-même, car ni le timing, ni le ton ne lui convenait.

Quand on exprime une colère constructive, on ne cherche pas à dominer l’autre ou à le blesser. On est dans une démarche d’expression claire, directe et respectueuse de nos ressentis, nos besoins ou nos limites, et dans l’ouverture d’un dialogue pour trouver une solution.

L’avantage de l’expression constructive de la colère, c’est qu’ainsi :

  • Nous sommes à notre écoute, nous nous respectons et nous affirmons ce qui est important pour nous
  • Nous faisons part à l’autre de nos besoins et limites en restant dans la communication et la relation avec lui

L’inconvénient, c’est que c’est l’expression de la colère la moins naturelle pour nous. Elle demande donc du travail, de la vigilance et de l’entrainement pour réussir à l’exprimer avant que la colère passive ou agressive ne prenne le relai. Mais c’est un travail qui en vaut la peine, car c’est bénéfique pour nos relations aux autres et pour notre relation à nous-même.

Les stratégies pour aller vers la colère constructive

1.Comprendre les mécanismes en jeu

Il est important de comprendre les 3 étapes de la colère et être au clair sur le fait qu’on ne choisit pas d’être en colère ou non. Par contre, on choisit ce qu’on en fait. C’est vraiment un point important, car je vois trop de personnes qui culpabilisent de ressentir de la colère. Or, encore une fois, ce n’est pas un choix. Rajouter de la culpabilité à sa colère ne va pas vous aider. 

Comprendre les mécanismes permet aussi de mettre en lumière les déclencheurs de la colère et donc nos valeurs, ainsi que les besoins associés.

Chez Matthieu, ce sont les valeurs « intégrité » et  « reconnaissance » qui sont touchées. Il a besoin d’être aligné avec la façon dont il fait son travail et il a besoin d’être reconnu dans tous les efforts qu’il déploie malgré les conditions de travail dégradées.

Chez Amira, ce sont les valeurs du « professionnalisme » et de la « solidarité » qui sont touchées. Elle a le sentiment que ses collaborateurs s’en moquent de ne pas faire une partie de leur travail et que ce soit elle qui se retrouve avec une surcharge de travail conséquente.

Enfin, chez Damien, ce sont ses valeurs « respect » et « justice » qui sont heurtées. Son besoin est d’être reconnu dans le temps qu’il donne à l’association et d’être, pour cela, traité avec considération, car tout le monde ne donne pas de son temps ainsi. D’autre part, il a besoin que ses temps personnels avec ses enfants soient respectés.

Conscientiser ce qui vient de se passer et qui fait que la situation n’est pas OK pour nous est un premier pas essentiel. Ce sera aussi très utile lorsque nous aurons besoin de verbaliser à l’autre ce qui se passe pour nous. Plus on est au clair avec nous-même, plus on pourra être clair auprès de l’autre sur ce qu’il vient de faire ou dire et qui ne nous convient pas.

2. Prendre du recul

Quand les émotions sont trop fortes, c’est rarement le bon moment pour réussir à s’exprimer de façon constructive. Il est donc préférable de prendre du recul.

Attention cependant à ne pas laisser passer une fois le recul pris. Car le risque, est, ce que l’analyse transactionnelle appelle, la collection de timbres. C’est ce qu’à tendance à faire Amira. Elle évite effectivement d’exploser sur le coup. Elle s’efforce de prendre du recul. Sauf qu’à chaque fois, ça s’arrête là. Quand la colère s’est atténuée, elle se convainc qu’il vaut mieux passer à autre chose. Sauf qu’en réalité, elle ne remet pas les compteurs à zéro. C’est comme si, à chaque situation d’agacement, elle collait un timbre. Le carnet se rempli. Et quand il est plein, boom, ça explose.

3. Adopter des stratégies alternatives de décharge

Rappelez-vous le mécanisme de la colère : votre corps a accumulé de la tension pour pouvoir réagir. Si vous sentez que cette tension est trop forte et qu’elle risque de vous faire tomber dans l’agressivité, il est alors recommandé de trouver une activité qui vous permettra d’évacuer cette tension autrement.

Le sport est une stratégie alternative qui fonctionne très bien. Certains vont courir, d’autres font de la boxe, d’autres encore vont taper dans une balle ou un ballon. Le but étant de se défouler (en évitant bien sûr de se défouler sur son adversaire, ses coéquipiers ou encore l’arbitre…).

D’autres activités, plus calmes, peuvent aussi faire l’affaire :

  • La respiration profonde permet ainsi de calmer le système nerveux.
  • La méditation et la pleine conscience aident à prendre de la distance émotionnelle.
  • Enfin, d’autres passent par des activités artistiques qui leur permettent d’exprimer leurs émotions autrement : écriture, peinture, danse etc..

Tous ces moments aident à décharger et facilitent en parallèle la prise de recul.

4. Reformuler ses pensées

Quand nous sommes en colère, nous avons tendance à entrer dans 2 pièges :

  • Nous allons souvent être dans l’interprétation et le jugement, plutôt que les faits. Ce qui va alimenter des croyances souvent peu aidantes. Par exemple, pour Amira, au lieu de se dire que telle chose n’a pas été faite, elle va avoir tendance à se dire qu’ils ne sont pas professionnels, qu’ils exagèrent, qu’ils se moquent d’elles etc…Ne focalisant que sur des éléments peu favorables, il est alors difficile d’envisager qu’une résolution constructive puisse exister.
  • Tout ça vient alimenter des mécanismes de ruminations

Il est donc important de faire attention à ces pièges, car quand ils prennent toute la place, ils ne vous permettront pas d’envisager une issue favorable et d’avoir un discours clair et constructif. Avant de prendre la parole pour exprimer à l’autre ce qui ne vous convient pas, vous devez être en mesure de revenir aux faits et rien qu’aux faits.

5. Apprendre les techniques de communication non violente

La Communication Non Violente (CNV), développée par Marshall Rosenberg, est une approche de communication visant à favoriser des échanges authentiques et respectueux. Elle repose sur quatre étapes clés :

  • Observation : décrire les faits objectivement, sans jugements ni interprétations.
  • Sentiments : exprimer ce que l’on ressent face à la situation.
  • Besoins : identifier les besoins sous-jacents qui motivent ces émotions.
  • Demande : formuler une demande claire et concrète pour répondre à ces besoins.

L’objectif de la CNV est de créer un dialogue où chacun peut s’exprimer et être entendu sans agressivité, en favorisant l’empathie et la coopération.

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Il n’est pas simple, surtout au départ, de réussir à s’exprimer à chaud avec cette méthode. C’est pourquoi, toutes les stratégies présentées plus haut peuvent être à utiliser en amont. Cependant, viendra toujours un moment où il faudra exprimer les choses à notre interlocuteur pour qu’il comprenne. Et là, cette méthode vous sera très utile. Et rien ne vous empêche de préparer cette partie en amont de votre échange.

6. Développer son empathie et sa tolérance

Nous ne sommes pas parfaits et les autres non plus. Pour mieux gérer nos frustrations et agacement, il est important d’accepter nos limites et celles des autres. Ça ne doit pas nous empêcher de dire à l’autre que tel comportement n’est pas OK pour nous. Mais nous ne pouvons pas toujours obtenir le changement qu’on aimerait. Donc soit on fait avec. Soit, on met fin à la relation.

C’est vraiment important de comprendre qu’on est deux dans une relation. Chacun doit prendre sa part. Votre part est d’exprimer les choses avec respect si quelque chose ne vous convient pas. Comment cette personne va réagir ? ça, ça ne vous appartient pas. C’est exactement le même processus que lorsqu’on apprend à dire NON aux autres. Ici, on apprend à dire STOP.

Savoir dire STOP, c’est faire comprendre à l’autre que quelque chose ne nous convient pas. Et encore une fois, on a plus de chance que ce soit audible si c’est fait avec assertivité. 

Ensuite, on se doit d’accepter l’autre avec ses forces et ses limites. Il est important d’avoir en tête que si l’autre ne change pas, ce n’est pas forcément parce qu’il ne veut pas, ou parce qu’il ne nous aime pas, c’est peut-être juste que, pour le moment, il ne parvient pas à faire autrement. Je suis sûre que ça vous arrive aussi. Des choses que vous aimeriez arrêter de faire, pour vous ou pour les autres, mais qui sont parfois « plus fortes que vous ». 

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Apprenons à être davantage bienveillant envers les autres et envers nous même. Apprenons à accepter nos limites. C’est aussi un chemin qui nous aide à moins surréagir à chaque frustration, malentendu ou maladresse

Ne culpabilisez jamais de ressentir de la colère. Si elle est là, c’est qu’il y a une raison. C’est qu’il y a quelque chose qui ne vous convient pas et auquel vous avez besoin de dire STOP. Tout l’enjeu sera la façon dont vous prenez en compte la colère qui émerge en vous et la façon dont vous l’exprimerez. Et vous l’avez compris, ni la violence, ni la passivité ne sont les meilleurs moyens. Reste alors le chemin de l’assertivité.

Certes, ce n’est pas le chemin le plus facile, mais c’est celui qui vous permettra de transformer cette énergie en force constructive, bénéfique pour vous et pour les autres. C’est sur ce chemin que la colère devient une alliée.

Marion

« La colère est une émotion incontrôlable, mais elle ne doit pas nous contrôler » Nelson Mandela

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