Un jour, dans un pays lointain, un phénomème étrange se produisit. Ce matin là, il faisait beau et un soleil brillant se reflétait dans une mare d’eau calme. Au milieu de la matinée, des bulles éclatèrent. Quelques instants plus tard, l’eau se mit à bouillonner de plus en plus fort, troublant la surface car le fond était boueux. Bientôt, une protubérance apparut qui se mit à grandir. C’était une forme vivante : elle bougeait ! Il était toutefois très difficile de dire à quoi elle ressemblait car elle était couverte d’une épaisse couche de boue.

La forme se traina sur le bord de la pièce d’eau et se tint immobile. Peu à peu, la chaleur sécha la boue, qui se mit à tomber par plaques entières.

Si vous aviez été présent, vous auriez certainement été surpris car ce qui apparut était sans doute la créature la plus étrange qu’il puisse être donné de voir. Un toupet de plumes bleues surmontait une tête qu’on aurait pu comparer à celle d’un oiseau, puisqu’elle était munie d’un bec.

Néanmoins, de fort beaux yeux en amande surmontés de longs cils et une petite bouche charnue rendaient l’assimilation difficile. L’animal – si c’en était un – possédait aussi un long cou posé sur un poitrail puissant garni d’une épaisse fourrure noire, un petit ventre rond et rose imberbe, deux longues ailes multicolores et des cuisses puissantes et musclées recouvertes du même pelage que la poitrine. Ses jambes étaient terminées par des pieds qui ressemblaient fort à ceux d’un être humain.

Aussitôt sec, il essaya de se mirer dans l’eau. Prenant alors un air surpris, il murmura : « Qui suis-je ? »

Un aigle qui passait par là le considérait depuis un moment avec attention. Il s’avança : « je vois que vous êtes perplexe. Si vous voulez mon avis, vous êtes assez atypique ! Néanmoins, je peux peut-être vous aider. Voulez-vous faire un test ? ». « Certainement » répondit la créature. L’aigle cueillit quelques graines et les jeta sur le sol. La créature s’approcha et, comme elle n’avait rien mangé depuis longtemps, elle se mit à picorer avec entrain.

« Il n’y a pas de doute, cela plus les ailes, vous êtes un oiseau. En revanche, je ne suis pas sûr de l’espèce ». « Cela n’a pas d’importance », déclara la créature avec un charmant sourire qui découvrit une rangée de dents en parfait état. « Je suis content d’être un oiseau ».

On entendit alors un grand rire. Un kangourou qui passait par là avait tout entendu.  » Un oiseau ! Vous plaisantez ! Moi aussi je vais lui proposer un test ».

Il s’adressa alors à la créature qui écoutait sans mot dire : « voulez-vous me faire le plaisir de sauter ? Cela vous dégourdira les jambes. » L’animal pensa qu’une contre-expertise serait une bonne chose. Déployant ses longues jambes musclées, il fit un saut impressionnant. Triomphant, le kangourou s’écria : « seuls les kangourous sont capables d’un tel exploit : c’est un kangourou! ». « Ah bon ? » s’étonna la créature, un peu déçue de ce désaccord sur son identité.

C’est alors qu’on entendit un bruit de pas. C’était un promeneur qui, trouvant la scène curieuse, s’était approché. Il regarda la créature droit dans les yeux et demanda à brûle-pourpoint : « combien font six fois quatre ? » « Vingt-quatre ». « A votre avis, c’est le soleil qui tourne autour de la Terre ou l’inverse ? ». « Voyons, nous ne sommes plus au temps de Galilée, pourquoi me posez-vous des questions aussi stupides « . « J’en avais l’intuition » s’exclama l’homme tout excité, « ce regard, ce sourire…Vous êtes un être humain ! « 

Malgré cet avis péremptoire, les deux autres ne l’entendirent pas de cette oreille. Ils se mirent donc à se disputer : « c’est un oiseau! » « Non, c’est un kangourou » « Je vous dis que c’est un être humain ! ».

C’est alors que la créature, irritée par ces criailleries, se saisit d’un seau qui avait été abandonné là, le remplit d’eau boueuse et le jeta sur les trois protagonistes occupés à s’invectiver. Couverts de boue et furieux, ils lui firent face : « jamais un aigle ne ferait une chose pareille ! » dit l’aigle. « Jamais un kangourou ne se conduirait ainsi ! « dit le kangourou. « Ce n’est pas civilisé ! Jamais un homme ne s’abaisserait à une manoeuvre aussi vile » dit l’homme. 

« Vous avez raison » dit la créature.

« Je ne suis ni un aigle, ni un kangourou, ni un homme. Je ne suis rien de tout cela parce que je suis Moi ! »

D’après David Gordon

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