Vanessa a 34 ans. Elle vient me voir parce qu’elle est en train de perdre pied, comme elle dit. Charge mentale au taquet. Stress à un niveau particulièrement élevé. Elle est fatiguée. Les maux se multiplient. Les émotions débordent…
Wonderwoman, Wondermaman, , wonderbusinesswoman. Elle ne porte pas une mais plusieurs capes de super-héroïne ; Sauf que ça commence à peser lourd sur ses épaules.
« Comment fait-on me demande-t-elle ? Comment font toutes ces femmes qui parviennent à être sur tous les fronts ? On me dit de prendre du recul, d’être moins exigeante, de savoir lâcher sur certaines choses. Mais, ce n’est pas que je ne veux pas. C’est que je ne sais pas. Et surtout, je ne peux pas ! Faire moins à la maison ? Mais je culpabilise déjà de ne pas être assez présente pour mes enfants et mon mari. Faire moins au travail ? Mais je viens d’avoir ce poste de manager que j’attendais depuis des années. Je n’ai pas le choix. Je dois faire mes preuves, leur montrer qu’ils ont eu raison de me faire confiance. Et mon équipe compte sur moi ! Faire moins dans ma vie sociale ? C’est déjà le cas. J’ai supprimé beaucoup d’activités. Mais ça me manque. Je sais que le sport me fait du bien. Et puis j’ai de plus en plus de remarques de mes amis qui soulignent bien que je ne suis pas très présente en ce moment. Et que même quand je suis là, et bien je ne suis pas vraiment là. Soit trop fatiguée. Soit la tête ailleurs, en train mentalement de faire la liste des choses à faire pour le lendemain. »
Vanessa me raconte tout ça d’une traite. Avec une telle détresse !
Sa demande ?
« Aidez-moi à mieux gérer cette charge mentale ! Aidez-moi à mieux m’adapter ! Aidez-moi à mieux m’organiser ! Dites-moi comment réussir tout ça en étant moins stressée, moins irritable… »
Vanessa, comme beaucoup de femmes, mais d’hommes aussi, souffre du syndrome du bon élève.
Portrait robot du « bon élève »
« Une partie de la population arrive dans la vie active en sachant rentrer dans les cases, et en aimant les cocher. Certains profils sans doute plus que d’autres : les personnes intelligentes, sensibles, à l’écoute, et exigeantes voire perfectionnistes. » Karine Aubry, extrait de son livre Trop bon élève au travail attention danger
A l’école, ils étaient les premiers de la classe. Ou s’ils ne l’étaient pas, ils étaient largement reconnus pour leurs efforts, leur gentillesse, leur calme, leur attention etc…
Ces bons élèves ont totalement intégré les règles du jeu de l’école. Faire ce que l’on attend d’eux. Rentrer dans les cases. Et en faisant ça, ils obtiennent exactement ce dont ils ont besoin : reconnaissance, approbation, amour, sécurité.
Sauf que ça ne marche plus vraiment à l’âge adulte. Et c’est là que ça commence à poser problème.
Ces bons élèves découvrent qu’en dehors de l’école, ce n’est pas parce que l’on respecte les règles, que l’on obtient de la reconnaissance. Au travail, on leur dira qu’ils sont trop scolaires, qu’ils doivent apprendre à se lâcher, être davantage proactif, ne pas demander constamment la permission ou l’approbation, s’imposer davantage, se faire remarquer, et même savoir contourner les règles lorsque cela est nécessaire. Incompréhensible pour de bons élèves…. Tout ça, c’est ce qu’ils ont appris à ne surtout pas faire à l’école…Et ça leur a réussi !
Et maintenant, ils devraient faire le contraire ?! Difficile pour eux d’appréhender cette nouvelle réalité.
Alors, ils continuent de faire ce qu’ils savent déjà faire parfaitement : se concentrer sur les tâches, abattre un travail de fou, exécuter tout cela avec beaucoup de professionnalisme. On ne les voit pas. On ne les entend pas. Ils ne se mettent pas en lumière et font tout pour ne pas déranger les autres. Ce sont souvent des travailleurs de l’ombre, très concentrés dans ce qu’ils font et toujours prêts à donner un coup de main. Ils exécutent donc avec brio leur fonction et pensent que, comme à l’école, ça suffira pour être reconnu et obtenir une promotion. Mais souvent c’est Untel qui aura la promotion, car lui, il maitrise des choses qui échappent totalement aux bons élèves : se rendre visible, communiquer sur ce que l’on fait, accorder autant, voire plus d’importance au paraitre qu’au faire, jouer politique…
Rude pour ces bons élèves… plutôt considérés comme des valeurs sûres, des personnes qui ne font pas de vagues, qui sont de vrais piliers. Bref des bons numéros deux…
Comme souvent alors, quand une stratégie ne fonctionne pas, au lieu de la remettre en question, on va plutôt se remettre soi-même en question, en imaginant qu’on n’a pas exécuté parfaitement ce qu’on devait faire. Alors, les bons élèves se remettent deux fois plus au travail, en étant encore plus sérieux, encore plus consciencieux, encore plus au service de…
Et voilà nos petits hamsters qui courent deux fois plus vite dans leurs roues.
« Habitué à être félicité, il vise, sous couvert d’excellence, l’approbation constante de sa hiérarchie » (Sophie Péters, « Le syndrome du bon élève », Le Monde, 2015)
Le bon élève est très souvent perfectionniste. Car même s’il n’y a plus personne pour lui remettre une bonne note, dans sa tête les voix des figures d’autorité raisonnent. Nul besoin d’avoir son patron à côté de lui. Il imagine très bien ce qu’il pourrait lui dire… enfin, c’est ce qu’il pense car très souvent ces petites voix intérieures sont bien plus autoritaires et pinailleuses que dans la réalité.
Et quand ces voix s’expriment dans la réalité, ce sont presque des paroles sacrées pour le bon élève. Pour lui, son patron, ses parents, comme ses professeurs à l’époque, ou peut-être un entraineur dans une équipe de sport etc… détiennent la vérité. Ils savent mieux que lui l’évaluer, lui dire quoi faire, comment se comporter, ce qui est mieux pour lui etc… bref, notre bon élève se place constamment en enfant adapté soumis et invite ainsi inconsciemment les autres à se placer en parent pour lui. Sauf que si tout le monde peut y trouver son compte dans un premier temps, cette logique arrive vite à ses limites.
Conséquences du syndrome du bon élève
Convaincu que s’il travaille bien, il aura de bonnes notes, le bon élève va de désillusion en désillusion. Il court inexorablement après une reconnaissance qu’il n’obtient pas ou si peu compte tenu de toute l’énergie qu’il mobilise pour réaliser ce qu’il doit faire. Et c’est encore plus incompréhensible et injuste lorsqu’il observe dans son environnement que d’autres personnes obtiennent davantage de reconnaissance sans être de « bons élèves ».
Résultat, il se fatigue à faire toujours plus et à courir après quelque chose qu’il n’obtient pas. Les sentiments de colère, frustrations, injustice se multiplient. Il devient irritable. Et on lui fait remarquer. Mais cela vient à nouveau renforcer sa croyance : « dès que je sors des cases de l’élève sage et obéissant, on me le reproche. »
Et c’est ainsi que progressivement, le syndrome du bon élève peut nuire à la santé mentale et mener tout droit vers le « burn-out ». L’étape précédent ce dernier étant une étape dite de surchauffe dans laquelle la personne tente désespérément de courir encore plus vite dans sa petite roue de hamster. On remarque alors l’émergence de 3 types de symptômes :
- Un épuisement physique et psychologique : notre bon élève est épuisé mais en tant que bon petit soldat, il continue et fait ce qui doit être fait. Cependant, on voit bien que ces traits sont de plus en plus marqués, que le moindre petit imprévu le met dans un état impossible, qu’il a par exemple de plus en plus souvent mal au dos, ou à la tête…
- Une dépersonnalisation et du cynisme : pour tenir le coup, il se met en mode « robot ». Ne pas réfléchir. Ne pas prêter attention à tous ces maux du corps qui se multiplient. Bien refermer le couvercle de toutes ces émotions qui tentent de déborder. Celles qui finissent par ressortir apparaissent alors souvent sous forme de cynisme. Notre bon élève commence à faire un peu d’humour noir, relevant l’injustice du système qui récompense des personnes qui ne le méritent pas à ses yeux. Une perte de sens et un conflit de valeurs émergent.
- Une perte d’efficacité et dévalorisation de soi : fatigué, notre bon élève est moins performant. Il n’est pas habitué à ça. Entre une reconnaissance qui lui fait défaut, un corps et des émotions qu’il a de plus en plus de mal à maitriser et une efficacité qui décline, notre bon élève, souffrant déjà souvent d’une faible estime de lui, perd encore plus confiance…
Si le fonctionnement du bon élève touche avant tout ses limites au travail, cela est aussi le cas dans sa vie familiale et sociale. Il se donne à fond pour les autres, anticipe les moindres besoins, organise tout pour que chacun soit content. Mais cela parait tellement naturel qu’au mieux notre bon élève reçoit un merci de politesse. Au pire, fait face à une certaine ingratitude : aucun retour ou juste un retour sur ce qui a manqué ou qui n’allait pas. Soit l’équivalent d’une note bien en dessous de la moyenne pour notre bon élève…. Encore une fois la colère, l’injustice, la frustration s’accumulent…
Mais alors, comment obtenir cette reconnaissance dont il a tant besoin ? (et dont tout un chacun a besoin également). Comment sortir de ce piège du fonctionnement du bon élève ?
Remèdes
Revenons à l’histoire de Vanessa.
Avant toute chose, on agit en urgence sur son niveau de stress. Car si pour un esprit sain, certaines réflexions semblent aisées, lorsqu’on est soumis depuis un certain temps à un stress chronique, nous perdons en capacité de clairvoyance. Vanessa n’est pour le moment pas en état de réaliser un travail de fond et revoir certains de ses schémas. Elle doit déjà évacuer du stress et trouver des moyens de se ressourcer.
Ensuite, Vanessa a pu mieux comprendre les stratégies qu’elle mettait en place et les résultats qu’elle obtenait. Et comme le disait si bien Einstein :
« La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent »
Alors, on envisage de nouvelles stratégies. Avec les avantages et les inconvénients. Les gains et les risques pour elle.
On travaille notamment autour des différents états du moi de l’analyse transactionnelle. Vanessa ne connaissait pratiquement que son enfant adapté soumis et le parent normatif. Elle part alors à la rencontre d’autres états du moi qui peuvent lui être particulièrement aidant :
- Le parent bienveillant pour se donner soi-même le réconfort, l’amour, la sécurité et la reconnaissance dont elle a besoin ;
- L’enfant rebelle pour s’opposer aux figures d’autorité, imaginer d’autres comportements que ceux consistant à cocher sagement toutes les cases ;
- L’enfant libre pour écouter ses envies, ses besoins, ses rêves les plus fous. Retrouver ainsi de l’énergie, de la spontanéité, de l’ancrage dans l’instant présent, de la joie de vivre ;
- L’adulte pour prendre une décision compte tenu de ce que tous les états du moi (parent normatif et enfant adapté soumis compris) auront pu exprimer.
Petit à petit, Vanessa apprend à mieux se connaitre. Elle ose davantage s’écouter. Dire non. Demander quand elle a besoin d’aide. Se féliciter elle-même. Elle gagne en confiance et en estime de soi. Son regard sur elle-même change et prend de plus en plus d’importance. Et parallèlement, son regard sur les autres change et perd de son importance. Bien sûr, elle ne s’en fout pas des autres. Vanessa a de la marge avant d’être égoïste (mais c’était quand même une de ces craintes quand on a commencé le travail…). Elle sait désormais que ce qui compte avant tout c’est le respect qu’elle s’accorde à elle-même. C’est ainsi qu’elle obtient le respect des autres, ce qui est encore mieux qu’une bonne note 😉 Enfin, elle a repositionné les limites qu’elle se mettait à elle-même et celles qu’elles mettaient aux autres.
« j’ai toujours fait comme on m’a dit de faire. J’ai cru que c’est comme ça qu’on réussissait sa vie, comme cela m’avait permis de réussir pendant mes études. Sauf qu’aujourd’hui je comprends qu’il n’y a pas d’examens finaux pour valider que je suis une bonne mère, un bon manager, une bonne épouse etc… C’est un contrôle continu fait inexorablement de hauts et de bas. Ce qui compte en réalité pour moi, ce n’est pas d’obtenir des bonnes notes, mais d’être heureuse, et ça, il n’y a que moi qui connait ma recette du bonheur et qui est donc légitime pour m’évaluer.» Vanessa
Voilà une chose que l’on n’apprend pas à l’école 😉
Marion