« je sais qu’ils ne me l’apprécient pas ». Propos d’Elisabeth, lorsqu’elle me parle de ses nouveaux collègues de travail.
« Les chefs d’entreprise vont trouver que je n’ai pas assez d’expérience » Propos d’Edith, lorsqu’elle m’évoque ses craintes quant à son projet entrepreneurial.
« Ma femme ne voudra jamais qu’on déménage à l’autre bout de la France ». Propos de Nicolas, lorsqu’il m’explique avoir reçu une proposition pour un nouveau job.
etc…
Voilà ce qu’on appelle des lectures de pensée : être convaincu de savoir ce que l’autre pense. Bien sûr, il arrive que ces lectures de pensée soient juste. Mais vous voyez simplement à travers ces trois exemples à quel point cela peut aussi nous freiner, peut-être inutilement. Sans parler du nombre de frustrations, conflits et malentendus que cela génère.
L’un des 4 accords toltèques est de ne pas faire de suppositions. Arrêter de faire de la lecture de pensée est donc typiquement arrêter de supposer que nous savons ce que l’autre pense et ressent.
Mais non seulement c’est un mécanisme très humain et en plus, nous pouvons avoir certains biais culturels qui peuvent nous pousser encore un peu plus dans la pratique des lectures de pensées.
Remettons à plat quelques principes essentiels :
Croyances et vérités ne vont pas de pair
Nous transformons malheureusement très vite nos croyances en vérité absolue.
Il n’est pas ici question de croyances religieuses ou spirituelles, mais des choses dont nous sommes convaincus dans la vie de tous les jours. Par exemple, quand nous pensons que les autres ne nous apprécient pas. Quand nous pensons que notre manque d’expérience sera un frein. Quand nous pensons que notre conjoint ne sera pas emballé à l’idée de déménager…. Nous allons inconsciemment transformer notre croyance (qui n’est finalement qu’une hypothèse parmi tant d’autres) en vérité absolue. Nous sommes alors désormais convaincus que les autres ne nous apprécient pas, que notre manque d’expérience est un frein ou que notre conjoint ne voudra jamais déménager.
Et comme désormais, c’est LA vérité pour nous, nous ne sommes plus capables de voir qu’il pourrait y avoir d’autres réactions. On ne cherche plus à vérifier si cette croyance est juste ou non, parce que nous sommes convaincus que c’est la seule et unique vérité.
Et pire encore, comme nous n’aimons pas avoir tort, même si on essaie de nous démontrer que nous nous trompons, nous allons tout faire pour retomber sur nos pattes et faire tenir notre croyance.
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C’est ce qu’illustre l’histoire du jeune homme qui se prenait pour un cadavre. Son psychiatre pense avoir enfin trouvé la façon de lui démontrer qu’il n’est pas un cadavre. Il lui demande : Est-ce qu’un cadavre saigne ?
Le jeune homme lui répond : non, un cadavre ça ne saigne pas.
Alors le psychiatre, d’un air triomphant, prend une aiguille et pique l’index du patient pour faire sortir une petite goutte de sang.
Et là, le jeune homme s’exclame : « ah je ne savais pas que les cadavres pouvaient saigner »
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Bref, vous comprenez que ces croyances, issues des lectures de pensées, peuvent devenir de véritables murs pour nous. Des murs qui nous enferment, qui nous empêchent d’avancer et surtout, des murs que nous avons érigés tout seul comme des grands…. Du coup, si notre objectif est derrière ce mur, comment peut-on l’atteindre ? Alors, on est déçu, on renonce, on trouve qu’on n’a vraiment pas de chance. On peut même potentiellement accuser les autres (ces collègues qui n’ont rien fait pour bien nous intégrer, ces chefs d’entreprise qui ne laissent pas la chance aux consultants débutants ou notre conjoint qui n’a pas voulu déménager…). Et peut-être qu’un jour de grand ras-le-bol, on videra notre sac et que l’autre nous exclamera qu’il tombe des nues, car jamais au grand jamais, il n’a pensé cela et que s’il avait su…
Je suis sûre que vous êtes en train de faire le parallèle avec une expérience que vous avez vécue (en voilà une autre de lecture de pensée 😉).
« Beaucoup de gens croient qu’ils pensent alors qu’ils remettent seulement en ordre leurs préjugés. »
William James
Je vous partage un autre exemple. Celui de Benoit. Lors de notre deuxième séance de coaching, il arrive très contrarié et agité suite à problème à son travail. Il me dit alors :
- « Je sais ce que vous allez me dire ; Que ça ne sert à rien de se mettre dans des états comme ça »
Voici le dialogue qui a suivi :
- Ce n’est pas ce que j’allais dire. Qui dit cela ?
- Tout le monde
- Tout le monde ?
- Ma femme, mon boss, mes amis. Ils pensent tous cela !
- Comment savez vous qu’ils pensent tous cela ?
- Ben, je le sais c’est tout !
- Mais comment vous le savez ?
- On me l’a déjà dit.
- C’est qui « on » ?
- Ma femme me l’a dit pas plus tard qu’hier. Et l’autre jour, c’était mon boss !
- Et donc maintenant « on » pense ça tout le temps de vous ?
- Peut être pas tout le monde et tout le temps. Mais quand je suis trop dans les émotions, oui
- Comment vous savez qu’à chaque fois que vous êtes « trop » dans les émotions, « on » pense tous cela de vous ?
- J’en sais rien, j’imagine… (très long silence)
- Qui pense que vous ne devriez pas vous mettre dans cet état ?
- Moi… En fait, c’est moi qui pense ça.
Et voilà un autre problème fondamental des lectures de pensées : nous prêtons avant tout aux autres des jugements, des opinions qui traduisent avant tout ce que nous pensons de nous-même.
Tout le monde ne pense pas comme nous
Ce que nous pensons. Nous croyons que les autres le pensent également. Ce que nous ressentons. Nous pensons que les autres le ressentent aussi.
Donc si nous ne nous aimons pas. Si nous manquons d’estime de nous. Si nous passons notre temps à nous autojuger, il y a de fortes chances pour que nous pensions que les gens nous jugent et nous critiquent. De quoi faire encore baisser notre estime de nous-même. Et donc de quoi continuer à faire des lectures de pensées peu favorables à notre égard. Vous voyez le cercle vicieux ?
Quand nous focalisons sur quelque chose qui ne nous convient pas chez nous, nous sommes convaincus que tout le monde ne voit que ça. Par exemple, je suis mal coiffée aujourd’hui, il est grand temps que j’aille chez le coiffeur. J’ai l’impression que tout le monde ne voit que ça. Et il suffit que je le verbalise à quelqu’un pour qu’on me réponde qu’on n’y avait pas du tout prêté attention et qu’on ne voit pas très bien où est le problème. Et bien, c’est la même chose, quand on focalise sur une expertise manquante, sur son âge, sur le petit moment en réunion où nous n’avons pas été clair etc… ça nous dérange tellement que ça nous fait occulter le reste. Et ça nous fait croire que tous les autres ne voient également que cela….
Tout le monde ne pense également pas comme nous, car nous avons des références différentes. Par exemple, si je demande à 10 personnes de me dire spontanément un mot auquel elles pensent lorsque je leur dis le mot « travail », il est fort probable que j’obtienne 10 réponses différentes. Nous ne pensons donc pas tous de la même façon. Loin de là…
Autre exemple, les valeurs. Finalement, nous partageons globalement tous les mêmes valeurs. C’est la hiérarchisation qui peut être différente. Mais surtout, c’est la traduction de ces valeurs en comportement qui diffère fondamentalement entre les personnes. Par exemple, dans une équipe, les relations sont très tendues entre Jérémy et Cynthia. Ils n’arrivent pas à se comprendre. Ils sont en conflit constamment. Quand j’échange avec chacun individuellement, tous les deux mettent en avant l’importance de la valeur Respect. Et chacun pointe l’autre du doigt car il bafouerait cette valeur. Mais chacun traduit cette valeur différemment. Ainsi, pour Jérémy, le respect, c’est d’arriver à l’heure aux réunions. Ce qui n’est effectivement pas le point fort de Cynthia. Et pour Cynthia, le respect, c’est de dire Bonjour à tout le monde, chaque matin et un vrai « bonjour », dans les yeux, en étant préoccupée de l’autre et donc en lui consacrant du temps et de l’écoute lorsque c’est nécessaire. Ce qui peut chambouler un peu son planning et la mettre en retard pour ses RDV…
Le problème, c’est que tant que chacun croit y voir clair dans le jeu de l’autre, estime que l’autre s’en fout ou encore pire, qu’il le ferait exprès (que des lectures de pensées puisque jamais, ils n’en ont parlé..), alors les tensions s’amplifient.
On ne peut donc pas faire de lecture de pensées correctes avec des gens qu’on ne connait pas, dont on estime ne pas partager les mêmes valeurs, ou encore avec lesquelles nous sommes en conflits. Car toutes nos lectures de pensées seront biaisées. Tout ce que nous cherchons à faire, c’est avoir la preuve que ce que nous pensons est la vérité, quitte inconsciemment à provoquer ce que nous redoutons le plus.
C’est le cas d’Elisabeth dont je vous parlais plus haut et qui est convaincue que ses collègues ne l’aiment pas. Bon déjà, quand on la questionne, elle n’a pas vraiment de faits, que des interprétations. Donc, on peut déjà se dire qu’elle est en train de se pourrir la vie peut être pour rien. Mais en plus, inconsciemment, elle provoque ce qu’elle redoute.
En effet, étant convaincue que ses collègues ne l’apprécient pas, elle adopte une attitude froide et distance. Elle est sur ses gardes, elle se blinde pour montrer qu’elle est forte et qu’elle ne se laissera pas intimider. Elle limite les échanges au strict minimum. Bref, elle qui vient d’arriver dans cette équipe, on pourrait se dire qu’elle ne fait pas beaucoup d’efforts pour s’intégrer. Imaginons que ses collègues pratiquent aussi la lecture de pensée. Et bien, ils vont interpréter les comportements d’Elisabeth. Ils vont se dire qu’elle ne veut pas créer de lien, qu’elle préfère jouer cavalier seule ou encore qu’elle s’estime au-dessus d’eux. À la fin, si aucun ne vient confronter ses hypothèses et voir s’il n’y aurait pas autre chose derrière ces comportements, et bien il est fort probable qu’ils ne s’apprécient effectivement pas… Mais ce sera une conséquence des mauvaises lectures de pensées. Plutôt qu’un point de départ.
L’autre est une boite noire, même quand on le côtoie tous les jours
Autre problème avec les lectures de pensées : imaginer ce que l’autre veut. Et alors, pour les plus serviables d’entre nous, faire ce qu’on pense devoir faire pour lui faire plaisir.
Mais oh déception ! L’autre n’exprime même pas un merci. C’est frustrant, non ? Alors souvent, on va se dire que l’autre est égoïste, irrespectueux, qu’il ne fait aucun effort alors que nous, nous en faisons tellement.
Mais si on s’était trompé d’hypothèse dès le départ ? Si croyant bien faire, nous avons apporté sur un plateau quelque chose que l’autre ne voulait pas vraiment ?
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C’est exactement l’histoire de ce couple dans un train. Madame s’installe à la fenêtre, car elle sait que Monsieur préfère étendre ses jambes dans le couloir. Monsieur laisse la fenêtre à Madame car il sait qu’elle aime regarder le paysage. Mais en vrai, Madame craint terriblement la clim côté fenêtre. Et Monsieur déteste le couloir où il se prend constamment des coups de valises et est dérangé régulièrement par sa femme quand elle veut aller se dégourdir les jambes. Bref, ils passent un mauvais voyage et pestent intérieurement l’un contre l’autre, « Il pourrait quand même se rendre compte que ça ne va pas.. », « c’est toujours moi qui fais des concessions ! «
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Ce qui est terrible, c’est que nous faisons surtout cela avec les gens dont nous sommes proches. Le fait de les connaitre bien, nous fait supposer que nous savons ce qui se passe dans leur tête
Chaque être humain est une boite noire. Nous ne savons pas ce qui s’y passe à l’intérieur. Les pensées, les ressentis… Tout ce que nous pouvons connaitre, c’est ce qui se passe à l’extérieur : les comportements, les mots. Ensuite, nous pouvons émettre des hypothèses pour tenter d’expliquer ces comportements. Mais ce ne sont que des suppositions et non la vérité. Et ce n’est pas parce qu’une ou deux fois nos hypothèses se sont révélées justes, que nous pouvons en faire une généralité.
Dans le même esprit, ce n’est pas parce que vous avez repéré une habitude chez quelqu’un que ça veut dire que vous savez ce qui se passe dans sa tête. Par exemple, imaginons que vous recevez régulièrement un ami à la maison. A chaque fois qu’il vient, il prend une bière. Du coup, au bout de la x ième fois, vous ne lui demandez plus, vous lui apportez directement une bière. Vous « savez ce qu’il veut ». Et ça part d’une bonne attention. Mais si aujourd’hui, il a plutôt envie d’un verre de vin blanc ? Alors, soit il va oser vous le dire. Soit, parce qu’il ne veut pas vous blesser, il va se taire. Mais donc ne croyez surtout pas « savoir ce que les autres veulent ».
Cet exemple n’a pas certes pas de grandes conséquences. Mais prenons simplement conscience de tous les autres cas de figures où nous agissons ainsi… Et de tout ce que cela peut encore une fois générer comme malentendus, non dits et conflits potentiels…
Nous sommes aussi une boite noire, même pour ceux qui nous côtoient tous les jours
Si nous ne pouvons pas deviner ce que l’autre pense et ressent. L’autre ne peut donc pas non plus deviner ce que nous pensons et ressentons. Quel que soit son amour, son écoute, sa bienveillance, son empathie… Ce n’est pas possible. Or culturellement, on se dit que si l’autre nous aime vraiment, s’il nous connait bien, il devrait savoir ce que nous pensons, ce que nous voulons et ce que nous ressentons sans avoir besoin de le dire.
Ça nous flatte lorsque c’est le cas. Ne sommes-nous pas d’ailleurs en admiration devant ces couples qui, par un simple regard, ont l’air de si bien se comprendre ? Oui, c’est beau. Mais combien de fois ce simple regard ne suffit pas ? Et combien de fois cela débouche-t-il alors sur une dispute ? « tu ne comprends rien », « mais c’est pourtant évident ! », « tu ne fais pas attention à moi », « c’est du bon sens », « je te l’ai déjà dit 100 fois » etc…
« Dans chaque relation, on peut se laisser aller à supposer que les autres savent ce que nous pensons sans avoir à formuler nos besoins. Ils vont faire exactement ce que nous voulons parce qu’ils nous connaissent bien. Et s’ils ne le font pas, nous ne sommes blessés et pensons : comment peuvent ils faire une chose pareille ? Ils devraient quand même savoir. Ainsi un drame se produit parce qu’on fait une supposition, avant d’en empiler d’autres par-dessus. »
Don Miguel Ruiz – les quatre accords Toltèques
Notre carte n’est pas le territoire. C’est un présupposé de PNL qui explique que notre représentation du monde est unique. Nous avons chacun notre propre carte. Alors, oui, il y a souvent de nombreux points communs dans les cartes des gens qui sont proches. Mais il y a aussi des différences. Quand l’autre ne devine pas correctement nos pensées, ce n’est pas qu’il ne nous comprend pas ou qu’il ne nous aime pas. C’est juste que dans sa carte à lui, il voit, entend, pense, ressent autre chose.
Et puis, soyons honnête. Nous avons déjà du mal dès fois à nous comprendre nous-même, à clarifier nos pensées, à mettre des mots sur ce que nous ressentons. Alors de là à croire que l’autre pourrait le faire comme ça, d’un simple regard, c’est un peu exagéré non ?
Enfin, nos pensées et nos ressentis, c’est intime. Voudrions-nous vraiment que les autres aient accès à tout ce que nous pensons, croyons, ressentons ? Non, surement pas.
En tout cas moi, personnellement, je n’aurai pas envie de côtoyer quelqu’un aux pouvoirs surnaturels qui lui permettraient de lire dans mes pensées à chaque instant. Quand bien même ce serait Patrick Jane 😉
Comment procéder pour éviter les lectures de pensées ?
Comme bien souvent, prendre déjà conscience que nous sommes en train de faire une lecture de pensée est un premier pas essentiel. Et un premier pas qui change déjà beaucoup de choses.
Une fois que vous en avez pris conscience, questionnez-vous : est-ce qu’il m’a vraiment dit cela ? sur quoi est-ce que je me base pour dire ça ? Quels sont les faits ? Quelle hypothèse je fais ? Quelles autres hypothèses pourrais-je imaginer ? La dernière question est importante car elle ouvre le champ des possibles. C’est une première façon de casser le mur que nous avons érigé.
Ensuite, le mieux est de poser des questions au principal intéressé : « que penses-tu ? », « quel est ton avis ? », « qu’attends-tu de moi ? » « Quelle est ton intention ? »
J’aime beaucoup cette dernière question car très souvent dans les lectures de pensées, nous croyons y voir clair dans le jeu de l’autre. Nous prêtons alors des intentions (souvent mauvaises) à des personnes alors que ce n’est absolument pas le cas.
Enfin, verbalisez vos pensées, vos émotions si vous voulez que l’autre vous comprenne. Verbalisez vos attentes et vos besoins, si vous voulez que l’autre agisse autrement.
« Transformez vos attentes en demande ». C’est une phrase que je ne cesse de répéter dans mes interventions en entreprise. Car encore une fois, la grande majorité des conflits et frustrations viennent d’attentes non comblées mais surtout et avant tout, non formulées…
Que celui qui n’a jamais fait de lecture de pensée lève la main. Mais je sais que personne ne le fera. Car nous agissons tous ainsi.
Voilà une belle lecture de pensée. Et de magnifiques généralisations (« jamais », « personne », « tous »). Tout cela est parfaitement humain. La question à se poser est : est-ce que ça m’aide de penser ainsi ? est-ce que ça me rend heureux ? est-ce que ça me permet de faire ce qui est important pour moi ? Si la réponse est oui, alors tout va bien. Si la réponse est non, alors peut-être qu’il est temps de prêter davantage attention au nombre de fois où vous avez recours aux lectures de pensées et commencer à les transformer en questions et en verbalisation de vos besoins.
Belle avancée dans vos propres pensées plutôt que celles des autres 😉
Marion