« je ne dois pas être normal » ! Je ne compte plus le nombre de fois où je peux entendre cette phrase, Moi aussi d’ailleurs, il m’arrive (encore) de me le dire, avant de rapidement balayer cette idée de ma tête. Car avouons-le, nous nous faisons du mal tout seul à nous juger ainsi. Et bien souvent, ce jugement est erroné. Pourtant, nul n’y échappe. Généralement, ce jugement négatif envers nous-même nous vient lorsque nous éprouvons une difficulté ou que nous vivons une situation que nous pensons être les seuls à vivre. Or, la réalité est bien différente… Non seulement nos problèmes sont tout à fait normaux (dans le sens où nous sommes en général loin d’être une exception à vivre ces situations). Mais le fait de se considérer comme anormal de vivre ou ressentir cela, est presque tout aussi normal.
Bref, le fait d’être anormal est une angoisse assez commune, mais tabou, ce qui alimente le fait de se sentir anormal…
Mais commençons par le début, c’est quoi être normal ???
Qu’est-ce qu’être normal ?
Le Larousse définit la normalité comme ce qui est conforme à une moyenne considérée comme une norme. Les synonymes sont : courant, ordinaire, naturel, sain…
Les contraires : démesuré, exceptionnel, excessif, original, anormal, malade, bizarre, détraqué..
Oups… on comprend bien la connotation négative associée à ce qui n’est pas normal (mis à part le terme exceptionnel sur lequel on reviendra plus tard) ….
Mais comment la norme de cette prétendue normalité est-elle définie ?
Et bien, c’est là où ça pose problème… et c’est là qu’on en réalise toutes les limites.
Soit la norme est définie mathématiquement à partir d’une moyenne. Mais par définition, une moyenne moyennise… et elle ne signifie pas grand-chose quand l’écart type est important. Prenez toutes les statistiques possibles et imaginables : la durée de vie moyenne, la consommation moyenne de tel aliment par jour et par personne, la taille moyenne, la note moyenne à tel examen etc… Toutes ses informations sont là pour donner un repère. Est-ce que ça a vraiment du sens de juger quelqu’un d’anormal parce qu’il ne tombe pas pile-poil sur le chiffre défini par cette moyenne ? A priori, non. D’ailleurs, à l’école, il est fort à parier que vous attendiez de vos enfants d’avoir plus que la moyenne. Alors, pourquoi s’y accroche-t-on dans d’autres circonstances, au point de se juger anormal lorsqu’on n’atteint pas la moyenne ainsi définie ?
Soit la norme est définie de façon plus subjective. On estime qu’une majorité est comme ci ou comme ça. Bonne façon de faire marcher la machine à stéréotypes avec toutes les limites que nous connaissons sur les discriminations en tout genre… À la racine de ces normes, on trouve souvent des croyances religieuses ou politiques. C’est ainsi que ce qui nous parait « normal » dans un pays ou à une époque, ne sera pas considéré comme normal dans un autre pays ou à une autre époque. Pensons simplement à ce qui était considéré comme une situation normale pour une femme il y a quelques décennies en France… Donc toutes ces choses que nous considérons comme « normales » sont souvent particulièrement subjectives et donc loin d’être des vérités absolues. Pourtant, nous nous y accrochons de façon démesurée, ce qui a pour conséquence de juger les autres et nous-même de façon erronée et parfois également de façon exagérée.
Imaginez maintenant la confusion et l’incohérence quand nous faisons un mix entre ces moyennes mathématiques et ces « normes » subjectives. Nous avons largement de quoi perdre nos repères et ainsi jamais nous sentir totalement normaux. Prenons un exemple : D’après vous, quelle doit être le poids d’une femme « normale » de 40 ans mesurant 1,65m ? Prenons nous une moyenne (si oui dans quel périmètre géographique et/ou échelle temps) ? La norme médicale ? Ou à la norme esthétique ?
Bon, je pense que vous commencez à comprendre qu’être « normal » ne veut pas forcément dire grand-chose et reste une notion subjective, qui varie en fonction des situations, des époques, et des croyances collectives et individuelles qu’elles nourrissent.
Mais alors, pourquoi cherchons-nous à être « normal » ?
Nous sommes avant tout des animaux sociaux. Quelque part, très ancré dans notre cerveau, nous savons que nous avons plus de chance de survivre en étant à plusieurs, plutôt que seul. Nous cherchons donc au maximum à être entouré et accepté des autres. Le rejet est une expérience que nous cherchons à tout prix à éviter. Et c’est donc pour cela que nous faisons en sorte de nous plier aux normes et codes du groupe, à rentrer dans le moule du collectif.
En 1956, le psychologue Ash a ainsi démontré, à travers cette expérience désormais bien connue, la pression naturelle exercée par un collectif sur un individu. La conséquence en est le conformisme.
Nous avons donc tendance à gommer nos aspérités pour nous conformer au maximum à la tendance générale du groupe. Bien sûr, il nous arrive d’aller à contre-courant de ce que nous considérons être la norme, mais dans ce cas, nous le faisons à nos risques et périls. C’est tout l’enjeu de l’affirmation de soi…
Les conséquences de la recherche de la normalité ?
Je le dis souvent : nous sommes des êtres complexes. Nous sommes pleins de paradoxes. Et parmi ceux-ci, on trouve le fait de vouloir être normal pour être accepté et aimé des autres, et le fait de vouloir être reconnu en sortant du lot.
C’est comme si nous avions une balance constante entre « je me fonds dans le moule pour être normal et accepté socialement » ou « je m’affirme avec mes différences pour être qui je suis, mais avec le risque d’être rejeté ». Et selon les circonstances, nous optons pour telle ou telle stratégie.
Mais que se passe-t-il quand on joue un peu trop souvent la première stratégie, celle de se fondre dans ce que nous estimons être la normalité ?
Et bien, on joue au jeu de la ressemblance. Ressemblance physique, ressemblance dans le langage, la façon de s’habiller, de voir le monde, de réagir… On va donc tenter de gommer toutes nos aspérités. Tout ce qui fait que nous sommes nous et qu’aucune autre personne dans ce monde n’est notre copie conforme…
C’est en cela que l’un des contraires de « normal » est exceptionnel. Et c’est à mon avis le terme le plus approprié pour qualifier un individu qui n’est pas « normal » et qui ne peut de toute façon pas l’être. Le terme « individu » est d’ailleurs défini comme : « Entité autonome qui ne peut être ni partagée ni divisée sans perdre les caractéristiques qui lui sont propres. »
Vouloir ressembler aux autres, c’est donc taire ou gommer des parties de soi. Mais taire ou gommer des parties de soi, c’est étouffer nos caractéristiques propres.
Bien sûr, certaines fois, pour nous adapter et/ou nous intégrer, nous devons faire des concessions. C’est effectivement nécessaire pour pouvoir vivre en collectivité. La différence est d’une part de faire ces concessions de manière consciente. Et d’autre part de ne pas nous juger négativement si certaines « parties » de nous doivent être endormies dans ce contexte. Ce n’est pas que nous avons un souci. C’est que notre caractéristique exceptionnelle ne peut s’illustrer dans cet environnement. Il sera alors nécessaire de trouver d’autres contextes dans lesquels ces parties de nous pourront s’exprimer librement et même être des atouts. Car le souci, c’est que nous avons souvent tendance à jeter bébé avec l’eau du bain. D’autant plus lorsque certaines de nos caractéristiques exceptionnelles n’ont pas été valorisées lors de notre enfance dans la cellule familiale et/ou à l’école.
Prenons les créatifs, les rêveurs, les hypersensibles… Avouons-le, ils ne sont pas toujours considérés comme « normaux » dans notre société. Et effectivement, à l’école ou en entreprise, on a plutôt tendance à leur dire que ces caractéristiques sont des « axes de travail », des « points de vigilances » etc… Pour avoir la paix et être acceptés, ils risquent alors de renier totalement ces parties d’eux quel que soit le contexte (dommage, car ce sont de vrais atouts). Ou alors, par chance et par bienveillance de leur entourage, ils pourront aussi découvrir que dans d’autres contextes, ces caractéristiques sont de réels trésors. Et alors, ils en feront leur métier, ou l’exprimeront dans des activités extra-scolaires puis extra-professionnelles.
J’ai constamment en coaching des personnes qui me disent ne pas avoir de talent. Mais bien sûr que si ! C’est juste qu’un talent, c’est typiquement une aspérité : quelque chose qui sort de l’ordinaire, que vous faites plus facilement et/ou mieux que les autres. Donc quelque chose que vous pourriez avoir considéré soit comme anormal, ou à l’inverse quelque chose que vous pensez totalement banal car aussi bien maitrisé par les autres. Quand je vous dis que nous sommes complexes et plein de paradoxes 😉
Et voilà comment, après avoir passé nos premières décennies de vie à gommer nos caractéristiques exceptionnelles pour rentrer dans le moule, nous passons ensuite le reste de notre vie à les rechercher pour enfin être qui on est.
Hélas, entre temps, les conséquences sur l’estime de soi peuvent être dramatiques.
Après avoir souvent entendu dans la famille et à l’école que nous étions « trop comme si » ou « pas assez comme ça », nous avons totalement intégré ce discours et nous nous l’affligeons à nous-même aussi souvent qu’une de nos caractéristiques exceptionnelles s’exprime. C’est typiquement dans ces moments qu’on se juge « pas normal ».
Face à cela, que fait-on généralement ? on redouble d’efforts pour tenter de paraître le plus normal possible. Oui, mais on a perdu en personnalité et souvent on s’est perdu nous-même… Effectivement, à force de gommer nos aspérités, on s’efface ; à force de chercher à être quelqu’un d’autre, on s’oublie. Et souvent ce quelqu’un d’autre qu’on essaie d’être, en fait, on ne l’aime pas particulièrement… Trop rigide, trop terne, sans personnalité… bref, encore un coup dur pour notre estime.
Mais on persévère. Cependant toujours avec la crainte que notre « vraie » personnalité avec toutes ces anormalités ressurgisse. Et c’est d’ailleurs ce qui arrive. Car on le sait tous, plus on essaie de contenir quelque chose, plus il y a de risque que ça lâche de temps en temps et de façon assez disproportionnée. Alors, on se juge encore plus sévèrement et c’est encore une fois notre estime de soi qui en prend un coup.
Et tout ça pour quoi ? pour finalement que les autres nous apprécient. Enfin… apprécient celui que nous faisons semblant d’être… Autant dire que ce n’est toujours pas glorieux pour notre estime.
Voilà voilà…
Ou comment un mythe autour d’une prétendue normalité, nous éloigne de nous-même et ne nous rend pas plus heureux et épanouis…
Alors, si on tentait de se dé-couvrir ?
Je suis sûre que vous seriez surpris par toutes ces capacités, talents, ressources au fond de vous et qui n’attendent qu’à sortir. Alors, oui, vous constaterez que la norme semble être de continuer à faire semblant plutôt que de faire ce travail sur soi. Mais à ce stade, non seulement vous savez que la normalité est surfaite, mais surtout, vous avez compris que le problème n’était pas de ne pas sembler normal, mais de faire semblant d’être banal, alors que nous sommes tous exceptionnels.
Nous avons tous cette chance au départ d’être unique, d’être a-normal, d’être extra-ordinaire.
Une nouvelle chance vous est donnée. Saurez-vous la saisir ?
Marion