« Jusqu’à la trentaine, nous passons le plus clair de notre temps à décider quels aspects de nous-même nous allons jeter dans notre sac à déchets, puis nous passons le reste de notre vie à tenter de les en retirer » (Robert Bly)

Nous faisons tous cela lorsque nous sommes jeunes, et parfois encore à l’âge adulte : renier des parties de nous-même et revêtir à la place masques et costumes qui nous paraissent plus convenables.
À la racine de ces comportements, une peur partagée par tous : celle de ne pas être assez aimable (digne d’être aimé) au naturel et donc une crainte d’être rejeté par les autres. Or, être rejeté, c’est être condamné ! 
Nous sommes en effet d’abord et avant tout des êtres sociaux. La survie de notre espèce est due à notre capacité à nous regrouper, nous organiser et coopérer. Et si certains animaux sont autonomes dès leur naissance, ce n’est pas le cas de l’être humain. Le petit bébé que nous avons été n’aurait pu survivre sans quelqu’un qui prenne soin de lui, le nourrisse, lui donne de l’amour et de l’attention. Et même avec le développement de notre autonomie, notre besoin d’être entouré, protégé et aimé est viscéral et dicte donc la plupart de nos comportements.
Ainsi, dès notre plus jeune âge, nous intégrons ce que nous devons faire et ne pas faire pour être aimé, protégé, reconnu et donc ne pas prendre le risque d’être exclu. Par nos expériences et nos observations, nous allons multiplier les liens de cause à effet : « si je fais cela, alors maman sera contente », « lorsque untel fait ceci, les autres se moquent de lui », « si je dis cela, alors je ne semble pas être normal » etc..

Nous allons continuer ainsi durant toute notre enfance, adolescence et au démarrage de notre vie d’adulte. Certains messages vont peser plus lourd à nos yeux et vont alors nous amener à nous construire différents masques sociaux (sois parfait, sois fort, fais des efforts, dépêche-toi, fais plaisir). Ces masques sont indispensables. C’est grâce à eux que nous pouvons vivre en société. Le problème, c’est que l’être humain a tendance à faire des raccourcis et peu de demi-mesure. Résultat, nous avons tendance à jeter dans notre sac à déchets tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à l’opposé de notre masque… Or, tout n’était peut-être pas à jeter…

Si certains masques nous collent tellement à peau que nous avons l’impression d’être totalement nous-même (Voir l’article spontanéité vs authenticité), d’autres nous paraissent plus difficiles à porter. Ces efforts nous coûtent beaucoup d’énergie et à la longue peuvent avoir des incidences sur notre santé physique et mentale.

Ils nous amènent également à des comportements instables car de temps en temps, le masque se craquèle et nous avons alors des réactions qui surprennent notre entourage et parfois nous-même. Ces moments d’égarement viennent confirmer notre croyance initiale : tel trait de notre personnalité doit être caché car il nous apporte systématiquement des problèmes. Nous redoublons alors d’efforts pour le remettre dans notre sac à déchets. Mais comme toute chose refoulée, ça ressort irrémédiablement et souvent de manière exacerbée. 

avoir peur de son ombre

La situation la plus angoissante pour nous tous est celle d’être démasquée. C’est la raison pour laquelle nous pouvons réagir certaines fois de manière disproportionnée en face de quelqu’un qui pointe une faiblesse ou un manquement de notre part, ou pire fait circuler auprès des autres que l’image que l’on tente de donner, serait en fait bien éloignée de ce que l’on est vraiment… 

Un autre cas de figure, qui nous amène à des réactions disproportionnées, est lorsque l’on côtoie des personnes qui affichent au grand jour ces traits de caractère que nous avons intégrés comme répréhensibles. On réagit alors avec véhémence pour bannir la personne puisque cela fait des années que nous avons enregistré que ce comportement exposé au grand jour implique l’exclusion sociale. Nous appliquons donc sans sourciller à cette personne une sanction que nous redoutons nous-même par-dessus tout. Mais à notre grande surprise, on se rend compte que tout le monde ne réagit pas comme nous. Et donc ce qu’on croyait universellement honteux et condamnable, semble finalement acceptable aux yeux de certains. Incompréhension et sentiment d’injustice se mêlent pour créer un cocktail détonnant : pourquoi cette personne reste aimable aux yeux des autres malgré ce comportement ? On s’invective alors contre la personne en question, mais aussi contre tous ceux qui nous paraissent passifs…  

Vous avez peut-être déjà entendu dire que ce que l’on n’aimait absolument pas chez les autres racontait quelque chose de nous. Et bien, vous savez désormais pourquoi. Le problème n’est donc pas fondamentalement lié à la personne, mais d’abord à notre histoire et nos croyances. Ainsi, ce ne sont pas les autres qu’il faut essayer de changer, mais le regard que nous portons sur eux. Et pour changer le regard que nous portons sur eux, il faut souvent commencer par changer le regard que nous portons sur nous-même.

Prenons 2 exemples :
* Dès le plus jeune âge, Nicolas a intégré la croyance que la vie n’était pas facile, qu’il fallait se battre pour y arriver et que seuls le courage et le travail pouvaient permettre de s’en sortir. Nicolas occupe aujourd’hui un poste de direction. Il est reconnu pour sa solidité à toute épreuve et sa grande force de travail.
* Audrey, quant à elle, a rapidement intégré que pour faire sa place, elle devait être serviable, souriante et à l’écoute. Audrey est aujourd’hui une femme douce, empathique, très appréciée pour ses valeurs humaines que ce soit dans son travail ou dans sa sphère privée.
L’un comme l’autre n’ont pas le sentiment de porter un masque. Ils ont été éduqués ainsi. Et ce sont aujourd’hui des qualités et même des valeurs qu’ils revendiquent.

Pourtant, ils se retrouvent confrontés régulièrement aux mêmes difficultés et insatisfactions, notamment dans leurs relations aux autres :
– Des collaborateurs se plaignent régulièrement de Nicolas. Ils trouvent qu’il manque d’empathie, de bienveillance et que si on ne travaille pas comme lui au moins 60H par semaine, on n’est pas investi dans son travail…. Nicolas tente réellement de faire des efforts. Il a suivi plusieurs formations et fait de son mieux pour mettre en pratique ce qu’il a pu apprendre. Mais c’est plus fort que lui. Les « jérémiades » de ses collaborateurs l’énervent particulièrement ! Alors, après quelques semaines où il parvient à prendre sur lui, le naturel revient vite au galop.
– Audrey se sent lasse. Elle se donne corps et âme au travail et à la maison, mais reçoit très peu en retour. Elle ne se sent pas reconnue. Elle sait qu’elle devrait s’exprimer davantage et oser dire non de temps en temps. Mais cela lui demande un effort considérable et lui fait surtout très peur. Et puis, à chaque fois qu’elle a essayé, on ne peut pas dire que cela ait été une réussite. Elle se trouve maladroite, et ça empire lorsqu’elle voit l’incompréhension, la déception ou même les reproches dans le regard des autres.

Les tensions s’accumulent pour Nicolas et Audrey. Ils se sentent pris au piège et malgré tous leurs efforts pour faire au mieux, ils y parviennent de moins en moins. La première réaction sera souvent de remettre les autres en cause. Nicolas pointera du doigt ces nouvelles générations qui ne veulent plus travailler et cette tendance exagérée à la bienveillance ! Audrey se plaindra de son mari, de ses enfants et de son patron qui ne se rendent pas compte de tout ce qu’elle fait pour eux.

Mais l’un comme l’autre ont conscience que ce n’est pas la première fois qu’ils rencontrent ce type de difficulté. Ils ont chacun un schéma de vie qui semble se répéter et dont ils aimeraient sortir. Ils ont déjà essayé plusieurs stratégies, mais en général, ils reviennent toujours à celle qui consiste à redoubler d’efforts, à essayer de porter leurs masques de la façon la plus parfaite possible. Ce qui progressivement les amène à des comportements de plus en plus rigides, et à des sorties de routes de plus en plus fortes…

masque à gaz

Résultats, Audrey et Nicolas ont le sentiment de ne plus rien maitriser. Ça les fatigue et fatigue leur entourage. Et cela nourrit leur crainte première : celle d’être rejetée, de ne pas être assez aimable…

La solution, pour sortir de ce cercle vicieux, est alors de commencer par se trouver soi-même aimable. Digne d’être aimé pour ce qu’on est réellement, et pas uniquement pour ce qu’on tente de paraitre. Cela demande donc de ne plus chercher à être parfait, mais à être complet.  
Et pour réussir cela, notre sac à déchets s’avère être un vrai trésor. Nos ressources et talents inexploités sont là. Contre toute attente, c’est ce que nous considérons comme des « déchets », qui nous permettront de réduire l’écart entre un idéal de perfection et ce que l’on est vraiment…

Mais cette démarche fait peur. Si certains de nos traits de caractère ont été bannis depuis si longtemps, ce n’est pas sans raison. Même adulte, on craint le rejet social. Et sur ce point, ne croyez pas que Nicolas, d’apparence très solide et moins sensible, est plus armé pour y faire face. Absolument pas. Les deux sont guidés par la même crainte, celle d’être rejetée.
La démarche fait également peur, car nous avons tendance à voir les choses de manière binaire : c’est tout ou rien. Donc en gros, soit Nicolas reste solide et travailleur, soit il devient fragile et fainéant. Et pour Audrey, soit elle reste serviable et souriante en toute circonstance, soit elle devient égoïste et râleuse….
Cette vision binaire les enferme ainsi dans leur masque. Pourtant, en mettant un peu de nuance dans ces notions, on entrevoit le chemin de la solution…
On imagine bien que si Nicolas osait davantage montrer ses vulnérabilités et donc son humanité, il ne deviendrait pas pour autant un homme fragile, mais un homme plus proche de ses équipes, ce qui ferait de lui un patron encore plus fort. Et on imagine bien aussi que si Audrey savait de temps en temps penser d’abord à elle et oser dire non, elle pourrait se ressourcer et revenir ainsi encore plus disponible, à l’écoute et serviable pour les autres.

Ce qui vous parait évident pour les autres, vous semble peut-être moins facile pour vous. Pourtant la solution est la même : mettre des ET à la place du OU.

Le quadrant d’offman est un outil qui illustre parfaitement cela : toute qualité poussée à l’excès peut devenir une faiblesse. C’est le pendant négatif du masque. Mais si on traduit cette faiblesse en point fort, on trouve alors ce qui pourrait être un challenge pour chacun, sans tomber dans son excès, qui est précisément ce qu’on a voulu jeter dans notre sac à déchets et qui provoque notre allergie.

Illustrons avec Nicolas :

Dans sa vision binaire, Nicolas est soit solide, soit vulnérable (carrés de gauche).
Sa solidité est une qualité. Il ne doit pas la renier. Par contre, à l’excès, elle génère de la froideur. C’est d’ailleurs ce qui lui est reproché par ses équipes. L’opposé positif de la froideur est l’ouverture. Son challenge sera donc d’allier solidité et ouverture. Et cela est tout à fait possible, sans tomber dans l’excès de l’ouverture, qui pour lui, est synonyme de vulnérabilité.

Cadran ofman Nicolas

Autre exemple avec Audrey : grâce à ce schéma, elle comprend que le raccourci qu’elle fait depuis des années, entre penser à soi et être égoïste, est exagéré. Des nuances existent. Elle apprendra donc à rester serviable, sans tomber ni dans l’excès de l’oubli de soi, ni dans l’excès de l’égoïsme.

Audrey comprend aussi que les personnes qu’elles trouvent égoïstes sont sans doute, elles aussi tombées dans le piège d’une de leur qualité. Elle pense ainsi à l’un de ses collègues qu’elle apprécie pour son côté épicurien. Elle apprend donc à prendre du recul sur son collègue, comme elle en prend sur elle-même et ses croyances et opte pour une communication saine (Voir l’article cultivons de meilleures relations)

cadrant ofman Audrey

Comme souvent, la clé se trouve dans l’équilibre. On voit bien grâce à ce schéma qu’une qualité à l’extrême peut devenir un défaut. Et que ce qu’on peut voir comme quelque chose de répréhensible à aussi une facette positive lorsque c’est appliqué à bonne dose.

S’aimer vraiment, c’est ainsi apprendre à aimer toutes les facettes de soi. C’est aussi apprendre à ne pas s’identifier de manière exagérée à l’une de ces facettes, car c’est cela qui nous pousse à aller chercher la perfection et donc l’excès… Par exemple, Nicolas n’est pas qu’un grand travailleur. C’est aussi un père aimant, un sportif accompli, un ami fidèle etc…

Et vous, quels aspects de votre personnalité aimez-vous voir reconnus ?
A votre avis, quels sont les traits contraires que vous avez dû refouler ?
Et si vous appreniez à accepter et intégrer ces 2 facettes qui font de vous, quelqu’un de complet  ?

 Je vous laisse à ces réflexions avec ce magnifique poème repris par Charlie Chaplin.

Vous aimer pour de vrai ; c’est tout le bonheur que je vous souhaite 😉

Marion

Poeme Charlie Chapling
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