Laura manage depuis plusieurs années. Elle ne comprend pas pourquoi son manager souhaite qu’elle soit accompagnée par un coach. Pour elle, tout va bien. Elle ne rencontre pas de difficultés. Ses résultats sont corrects. Son équipe suit. Lorsque nous faisons connaissance, Laura a à cœur de me montrer à quel point elle est au RDV sur tout et qu’elle n’a donc besoin de personne. Pourtant, son manager ne fait pas le même bilan et lui a déjà explicité les points sur lesquels il souhaiterait qu’elle travaille. Laura s’en défend. Son manager s’inquiète pour rien. Bref, même si Laura pourrait trouver dans un accompagnement une aide précieuse, un sas de décompression pour prendre du recul, faire le point et gagner en sérénité, reconnaitre qu’elle puisse avoir besoin d’aide est impossible pour elle pour le moment.
Yassin travaille sur un projet entrepreneurial très novateur. Il sollicite un accompagnement, car il n’arrive plus à avancer. Il est en effet arrivé à un stade où il doit rencontrer des personnes, parler de son projet, chercher des investisseurs… Mais il est paralysé par le fait qu’on puisse juger négativement son idée. Finalement, il aurait le sentiment que c’est lui qui serait jugé négativement.
Laura et Yassin, à leur façon, se retrouvent face à leur vulnérabilité et tentent d’y échapper à tout prix, même si le prix pourrait être finalement de passer à côté de leur objectif : réussir dans son poste pour Laura, et réussir son projet entrepreneurial pour Yassin.
Qu’est-ce que la vulnérabilité ?
La vulnérabilité fait référence à notre capacité à être blessé émotionnellement, physiquement ou mentalement.
Qui aurait envie d’être blessé ? Personne bien sûr.
Alors, que faisons-nous ?
On se protège. On élimine autant que possible les risques d’être blessé. Pour cela, on évite les situations qu’on estime dangereuses (ce que fait Yassin) et/ou on se construit une armure solide qui nous permettra de faire ce que nous avons à faire tout en nous sentant protégé (ce que fait Laura).
Et ça, nous le faisons tous. À des degrés divers et avec des stratégies variées. Nous cherchons à protéger notre égo et essayons de nous montrer plus forts que nous sommes.
C’est là que l’amalgame arrive. Pour ne pas être vulnérable, nous devons nous montrer forts. Nous estimons donc qu’être vulnérable, c’est être faible. Or, si la faiblesse est considérée comme de la vulnérabilité, être vulnérable, ce n’est pas forcément être faible. J’aurai même envie de dire que c’est tout le contraire. Et je ne suis bien sûr pas la seule à le penser.
Brené Brown a beaucoup travaillé sur ce sujet. Dans son livre Le pouvoir de la vulnérabilité, elle explique avoir demandé à des participants des exemples d’expériences où ils ont ressenti de la vulnérabilité. En voici un aperçu :
- Avoir une opinion impopulaire
- Se défendre
- Demander de l’aide
- Dire non
- Démarrer sa propre activité
- Écouter son enfant dire combien il aimerait jouer en solo dans l’orchestre et l’encourager alors que je sais que ça n’arrivera sans doute jamais
- Appeler une amie dont l’enfant vient de mourir
- Inscrire l’un de ses parents dans un établissement de soins palliatifs
- Dire « je t’aime » le premier
- Montrer quelque chose qu’on a peint ou écrit
- Recevoir une promotion sans savoir si on sera à la hauteur
- Tomber amoureux
- Être licencié
- Amener son petit ami pour la première fois chez soi
- Tomber enceinte après 3 fausses couches
- Attendre les résultats d’une biopsie
- Soutenir son fils qui traverse un divorce difficile
- Demander pardon
- Admettre qu’on a peur
Comme le dit si bien l’auteure : « Tout cela ressemble-t-il à de la faiblesse ? Soutenir quelqu’un qui se débat dans des problèmes est-il un signe de fragilité ? Accepter la responsabilité de quelque chose est-il le fait d’une personne faible ? »
La réponse est bien sûr non. Tous ces actes demandent du courage. Et pour faire preuve de courage, il faut être fort. On est bien loin de signes de faiblesses, quand bien même tous ces actes nous rendent vulnérables.
Être vulnérable, c’est donc prendre des risques émotionnels, oser être honnête au sujet de nos sentiments et de nos expériences, et savoir reconnaître nos propres limites et faiblesses. Des risques auxquels nous sommes TOUS, sans exception, confrontés. Même ceux qu’on estime très forts.
« La vulnérabilité a le goût de la vérité et l’odeur du courage » Brené Brown
Pourquoi être vulnérable nous semble-t-il si dangereux ?
Nous n’aimons pas prendre des risques. D’autant plus quand ces derniers viennent directement nous toucher au plus profond de notre être. Être vulnérable, c’est clairement se sentir tout nu. Plus rien ne nous protège. On comprend bien à quel point c’est un risque important.
Une grande partie des messages que nous entendons depuis notre enfance, c’est que le monde est difficile, qu’il faut se battre, faire sa place, être persévérant, se montrer fort, ne pas montrer ses failles à l’adversaire etc…Tous ces messages largement répandues, font que beaucoup d’entre nous ont une vision hostile du monde. Pour s’en protéger, ce que nous sommes naturellement ne semble pas suffisant. Il faut s’endurcir, se construire une carapace. On est très loin du fait d’oser se mettre à nu. On cultive alors ce qu’on appelle un driver sois-fort.
Pour alimenter tout ça, nous avons grandi avec l’image de figures d’autorité et de super héros très forts et sans aucune faille ; Et s’ils avaient un talon d’Achille, c’est ce qui les condamnait à leur perte…
Les choses heureusement sont en train d’évoluer. Les super héros d’aujourd’hui sont justement plus humains avec des failles et des limites. Et dernièrement, des femmes de pouvoir comme Jacinda Arden, alors première ministre Neo-Zélandaise, était saluée pour son humilité et son courage à être restée telle qu’elle était, même aux plus hautes fonctions. Jusqu’au bout, elle a assumé une part de sa vulnérabilité puisque c’est avec beaucoup d’émotions qu’elle a exprimée sa décision de démissionner, reconnaissant sa fatigue et le fait qu’elle ne voulait pas que cela puisse nuire au pays qui a besoin de quelqu’un avec toute son énergie «Ce travail est un privilège, mais aussi très difficile », « Je suis un être humain ». Des phrases très fortes. Des phrases qu’elle a sans nul doute prononcé en proie à une grande vulnérabilité. Et pourtant, vue de l’extérieur, la plupart y ont vu une grande marque de courage et de force. Mais ce type de comportements fait encore figure d’exception. Notamment dans le milieu politique, mais aussi de façon générale à chaque fois que nous assumons des responsabilités.
Ainsi, au travail traditionnellement, ce sont des valeurs de performance, de résistance, de force qui sont reconnues. L’humilité, l’intelligence émotionnelle, l’authenticité sont des attributs mis en avant qu’assez récemment et malgré tout encore trop peu incarnés aux plus hauts sommets. Cela contribue à renforcer la croyance que plus, on prend en responsabilités, plus on doit s’endurcir pour éliminer sa vulnérabilité.
C’est aussi la même chose dans la sphère personnelle avec sa famille et ses enfants. Plus on grandit, plus on a tendance à garder les problèmes pour soi. Ce serait le signe de notre sagesse, de notre autonomie et de notre capacité à affronter le monde.
Cette pression sociale à se conformer à des normes de comportements qu’on peut qualifier de virilistes contribue à nous faire ressentir de la honte lorsque nous ne correspondons pas à ces comportements. La honte est l’une des émotions les plus douloureuses. C’est une émotion qui nous isole et qui nous musèle. Car dès que nous verbalisons notre sentiment de honte, elle s’évanouit. Mais c’est extrêmement difficile. Quand on a honte, c’est qu’on se sent défaillant. On se sent indigne d’être aimé. On est particulièrement vulnérable dans ces moments-là.
Si on a enregistré qu’il ne fallait pas montrer sa vulnérabilité, on peut donc ressentir de la honte à chaque fois que celle-ci pointe son nez. Mais de façon plus globale, on peut ressentir de la honte à chaque fois que nous avons le sentiment d’être défaillants et anormaux en ne correspondant pas aux codes qu’on pense attendus (ex : apparences physiques, comportements sociaux, réussite professionnelle). Par exemple, on se représente ce que doit être un bon parent vis-à-vis de ses enfants, un bon enfant vis-à-vis de ses parents, un bon salarié vis-à-vis de son entreprise, un bon patron vis-à-vis de ses employés…À chaque fois que nous ne nous sentons pas à la hauteur de ces attendus, non seulement nous allons nous sentir en danger par rapport à ce monde hostile qui pourrait tout de suite pointer nos insuffisances, mais en plus, nous allons ressentir un sentiment de honte à notre égard. Et pour couronner le tout, nous pouvons encore nous rajouter une dose de honte en pensant que nous sommes les seuls à vivre ça. Alors qu’en fait, ce n’est pas le cas. Nous vivons tous ce type d’expériences, mais comme nous en avons honte, nous ne le partageons pas. Vous voyez à quel point la honte et la vulnérabilité s’alimentent.
Enfin, nous mettons aussi loin que possible notre vulnérabilité car nous avons souvent le sentiment que si on la laisse un peu passer, alors telle une digue, tout va lâcher et nous allons nous écrouler. En réalité, ce n’est pas le cas. Cela le serait si la vulnérabilité n’était que faiblesse. Mais la vulnérabilité nous apporte aussi beaucoup de force. C’est ce que nous allons aborder juste après.
Avant cela, j’ajoute un dernier point qui me semble très intéressant : si nous fuyons notre vulnérabilité, à contrario, nous sommes souvent attirés par celle de l’autre. L’autre, quand il est vulnérable, nous touche. Sa vulnérabilité le rend humain et authentique. Pour reprendre l’exemple de Jacinda Arden, c’est ce qui l’a rendu populaire dans son pays et sur la scène internationale. Et sans aller jusque-là, pensez à vos proches. À ceux qui vous touchent. Nous nous sentons en général plus proches d’une personne qui enlève sa carapace et ses masques et ne joue plus un rôle. Nous reconnaissons aussi le courage qu’il ou elle a à oser exprimer ses ressentis. Mais bizarrement, ce qu’on apprécie chez les autres, nous le détestons chez nous et cherchons à tout prix à l’éviter.
Pourquoi oser faire preuve de vulnérabilité ?
L’acceptation de notre vulnérabilité nous permet d’avoir des relations avec les autres bien plus satisfaisantes :
La peur d’être vulnérable nous conduit à nous protéger, à nous cacher derrière notre armure. Nous nous coupons alors de nos ressentis et de notre authenticité, et nous coupons aussi l’accès aux autres à nos ressentis et notre authenticité. Cela nous prive de relations profondes avec les autres. Ce qu’on appelle des relations d’intimité, c’est-à-dire des relations dans lesquelles on tombe l’armure, on se montre tel que nous sommes. Et ça, nous en avons tous besoin. Ne jamais pouvoir tomber l’armure est non seulement épuisant, mais c’est aussi avoir des relations qui ne répondent pas à notre besoin fondamental : celui d’être connecté, reconnu et aimé par les autres, tels que nous sommes profondément.
Au-delà d’avoir de la difficulté à se connecter aux autres, la non-acception de notre vulnérabilité peut aussi nous rendre plus agressifs et sur la défensive. Ondine Kahayt dans son livre « faites l’expérience de vous-même » propose cette image :
« Imaginez votre douleur jetée dans un placard tout au fond de vous. Au début, il y a de fortes chances pour qu’elle soit tellement stupéfaite qu’elle restera tranquille. Ensuite, elle va gémir, pleurer pour attirer votre attention, mais vous ne l’entendrez pas, car vous remplirez votre vie de bruits et de fureur dans le but de la masquer. Vous construirez un magnifique système de défense, avec des missiles anti-souffrance que vous serez prêts à envoyer sur toute personne susceptible de vous reconnecter à ce que vous avez soigneusement mis au placard : votre vulnérabilité ».
L’acceptation de notre vulnérabilité nous permet aussi une meilleure relation à nous-même. Ce n’est pas humain de ne rien ressentir. Ce n’est pas une vie que de rester caché derrière une carapace. Ce n’est pas enviable de réagir constamment « en mode robot ». Nous sommes des êtres humains. Nous sommes avant tout des êtres émotionnels. Ne pas accepter sa vulnérabilité, c’est passer à côté de soi. Et c’est donc aussi passer à côté de sa vie.
Quand on regarde les 5 plus grands regrets des personnes en fin de vie, on voit bien qu’ils ont été alimentés par la peur d’être vulnérable.
Ne pas accepter notre vulnérabilité, cette part « normale » de tout être humain, c’est aussi alimenter la croyance que nous sommes défaillants, ce qui est catastrophique pour notre estime de nous-même. Et nous rend donc, in fine, bien plus fragile…
De plus, ne pas oser être vulnérable, c’est se priver de l’aide et du soutien des autres. Aide et soutien dont nous pouvons fondamentalement avoir besoin pour réussir ce qui nous tient à cœur. Et aide et soutien que les autres aimeraient beaucoup nous apporter. Alors pourquoi les priver de cela ? Et pourquoi nous priver de cela ?
Enfin, on parle désormais beaucoup de résilience, cette capacité à affronter les épreuves de la vie, à rebondir. Il faut être fort pour être résilient. Il faut accepter sa vulnérabilité pour être résiliant. Car sans accueil de sa vulnérabilité, on plonge dans le déni. Et ça, ce n’est pas de la résilience.
Comment oser être vulnérable ?
Question difficile car je pense que le chemin et le temps nécessaire pour l’emprunter est propre à chacun. En fonction de notre éducation et de nos expériences, nous avons plus ou moins blindé notre carapace. Mais voici quelques pistes :
- Accepter son humanitude : vous, comme tous les autres, n’êtes pas parfaits, vous avez vos blessures et vos limites. C’est OK. Vous, comme tous les autres, avez cette part de vulnérabilité. C’est OK. Nous ne sommes pas des robots. Ça parait évident, mais on l’oublie trop souvent. Nous sommes entourés d’informations et de modèles qui restent encore trop célébrés pour leur perfection. Et nous cherchons donc à leur ressembler (imaginez quand même que désormais les personnes qui font appel à la chirurgie esthétique demandent à ressembler à leurs photos prises sur les réseaux sociaux et bourrées de filtres!!!). La normalité, c’est d’être imparfait. La normalité, c’est de rencontrer des échecs. La normalité, c’est d’avoir des failles. La normalité, c’est de ressentir de la vulnérabilité. Imaginez par exemple que 7 personnes sur 10 souffrent au moins à une période de leur vie du syndrome de l’imposteur. Autant dire une expérience très en lien avec notre vulnérabilité.
- Commencer à montrer sa vulnérabilité dans un cadre hyper sécurisé : avec un psy, un médecin, un coach ou un proche en qui on a confiance. Pour vaincre une peur, il faut passer à l’action. Mais autant le faire avec un maximum de sécurité. L’objectif n’est donc pas que d’un seul coup, vous alliez au travail ou à un repas de famille et exposiez tous vos ressentis, craintes, doutes etc… Et peut-être que ce ne sera jamais approprié. C’est OK. L’idée n’est pas d’exposer sa vulnérabilité au monde entier. Mais commencez petit à petit et allez jusqu’où ça vous semble raisonnable. Nul doute qu’en commençant à le faire, d’autres personnes s’ouvriront davantage à vous, vous exposant aussi leur propre vulnérabilité. Ce qui vous encouragera à continuer. Bref, le but est d’enclencher un cercle vertueux.
- Pratiquer l’autodérision : c’est pour moi l’une des meilleures armes contre la honte. À chaque fois que nous ressentons de la honte, essayons de nous en débarrasser immédiatement. Pour cela, la verbaliser ou en rire fonctionne très bien.
- Chercher à s’aguerrir plutôt que s’endurcir : s’aguerrir, c’est développer son estime de soi. C’est accepter ce que nous sommes et apprendre de nos expériences. Cela permet de disposer d’un socle solide qui nous encourage à prendre des risques et ressentir pleinement.
Dans un monde où la honte domine, où la peur est devenue une seconde nature, la vulnérabilité est subversive, inconfortable, même un peu dangeureuse, parfois. Sans aucun doute, se découvrir signifie prendre le risque d’avoir mal. Mais quand je regarde ma vie et ce que beaucoup oser m’a apporté, je peux dire honnetement que rien n’est aussi inconfortable, dangereux et blessant que de se sentir étranger à sa propre vie et de la contempler en se demander ce qu’elle serait si on avait le courage de se découvrir. Brené Brown
Vous l’aurez compris, la vulnérabilité, c’est l’ouverture émotionnelle, la prise de risque et l’acceptation de l’incertitude que tout cela va générer. Et pour oser faire cela, il faut être incroyablement fort et courageux.
Oser se mettre à nu. Pour oser vivre pleinement. Les gens que nous voyons totalement épanouis et heureux dans leur vie ne le sont sans doute pas parce qu’ils se sont blindés derrière une armure. Mais parce qu’ils ont osé être ce qu’ils étaient, avec leur part de vulnérabilité. Les autres, ceux qui semblent pourtant avoir réussi, ressentent malheureusement très souvent un vide énorme à l’intérieur d’eux. Kierkergard, le dis bien mieux que moi :
« oser, c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser, c’est se perdre soi-même ».
Enfin, n’oubliez jamais que les gens qui vous aiment, ne vous aiment pas en dépit de vos vulnérabilités, mais plutôt pour vos vulnérabilités.
Bel accueil de cette part de vous-même !
Marion