Dans notre société, on peut dire que nos émotions ont plutôt mauvaises réputations. Elles sont taxées de nous rendre subjectifs, de nous faire réagir de façon disproportionnée, d’être mauvaises conseillères etc… Alors, on cherche à les contrôler, les gérer, les maitriser. Mais si on est honnête, on voit bien que cette stratégie ne fonctionne pas. En général, soit on tente du mieux possible de les étouffer jusqu’à ce qu’elles finissent par nous submerger (et souvent de façon encore plus forte que si on les avait laissés s’exprimer dès le départ), soit on y arrive plutôt bien, mais au point de devenir un robot, froid, distant, qui a du mal à créer du lien avec les autres.
Il est donc grand temps de se réconcilier avec nos émotions.
D’abord, parce qu’elles nous rendent tout simplement humains ;
Ensuite parce qu’elles nous rendent vivant. Ce sont nos émotions qui nous font vibrer. Ne pas vouloir en avoir, ne pas vouloir avoir ces hauts et ces bas qu’elles génèrent, c’est espérer devenir un encéphalogramme plat. Or, on sait tous que ce n’est pas bon signe…
Enfin, parce qu’elles sont naturelles. Elles existaient d’ailleurs bien avant que l’Homme développe le langage et la pensée complexe. Et encore aujourd’hui, elles émergent bien avant qu’on en ait conscience. Même si nous avons envie de croire que nous sommes des êtres hyper objectifs et que notre capacité à analyser et réfléchir est au-dessus de tout ; nous sommes avant tout des êtres émotionnels. Nos émotions font partie intégrale de nous, de notre façon de voir les choses, de réfléchir et d’agir.
Vouloir ne pas avoir d’émotion (et vouloir que l’autre n’en ait pas) est donc un non-sens. C’est impossible. Résultat, ça ne peut que générer culpabilité, sentiment d’anormalité et tentative vaine d’étouffement. Encore une fois, pour quelque chose qui est totalement naturel… D’autant plus, pour ceux qui sont hypersensibles.
À force de réprimer les émotions, à force de faire comme si ça n’existait pas, notre vocabulaire émotionnel est extrêmement pauvre. Donc non seulement, on évite autant que possible d’en parler, mais si l’envie nous prend d’exprimer nos émotions, alors on se retrouve en général démunis pour trouver le mot qui pourra parfaitement refléter notre émotion. Heureusement, depuis, les émoticônes ont fait leur apparition 😉 et nos émotions ont donc trouvé un nouveau champ d’expression.
Et c’est mieux que rien. Car la clé de nos émotions se trouve justement là, dans leur expression : savoir les reconnaitre, les nommer et comprendre le besoin qu’elles expriment. Car en réalité, nos émotions nous veulent du bien…
1/ Qu’est-ce qu’une émotion ?
Bernard Anselem et Emmanuelle Dailly, dans leur livre Les Talents cachés de notre cerveau au travail (car oui, oui, les émotions ont aussi leur place au travail !) définissent une émotion comme « Une réaction passagère, rapide et spontanée, en adaptation à une information importante, accompagnée de signaux corporels »
Une émotion ne dure donc que quelques secondes ou minutes. Elle s’opère en 3 temps :
- Charge : notre cerveau perçoit un stimulus (visuel, auditif, olfactif…) et notre amygdale déclenche la charge de l’émotion
- Tension : Notre corps se met en tension. Nous libérons des hormones. Bref, nous sommes prêts à agir pour répondre au stimulus.
- Décharge : nous libérons, par une action, la charge énergétique créée.
Je suis un Homme des cavernes. Je vois un lion surgir (charge), mon corps va libérer des hormones comme le cortisol (tension). Je vais alors disposer d’une énergie incroyable pour courir aussi vite que possible et fuir (décharge). Ce mécanisme ancestral fonctionne toujours de la même façon, même si nos stimulus n’ont plus grand-chose à voir avec ceux de nos ancêtres. L’émotion et l’action vont donc de paires. Le mot vient d’ailleurs du latin e movore qui signifie mettre en mouvement.
Et ce sont justement ces mouvements provoqués par nos émotions (les fameux mouvements d’humeur) que nous n’aimons pas. Si nous n’avons pas la possibilité d’agir sur les 3 phases d’une émotion, nous avons le pouvoir de décider comment la décharge va s’effectuer. Et ainsi faire en sorte qu’elle soit respectueuse de nos besoins et respectueuse de l’autre. Mais encore faut-il bien comprendre le besoin inhérent à chaque émotion.
Prenons les 4 émotions de base :
La joie est l’émotion ressentie lors d’expérience ou d’anticipation d’évènements positifs.
Lorsqu’on ressent cette émotion, notre corps produit les hormones du bonheur, comme la sérotonine et la dopamine.
Ces sensations sont tellement agréables que l’on cherche sans cesse à les reproduire. C’est pour cela que l’on dit que la joie apporte la joie. La joie est aussi une émotion qui nous ouvre aux autres : on a envie de la partager. Et on a aussi envie que les autres ressentent le même état que nous.
D’où la limite : il faut être vigilant à ne pas tomber dans une dictature de la joie. Même si nous aimerions que tout le monde soit dans cette émotion positive, on doit respecter les émotions des autres. Car s’ils ressentent autres choses, c’est qu’il y a sans doute une raison…
La peur se déclenche face au danger et à l’inconnu. C’est l’exemple que je vous ai donné lorsque je me retrouve face à un lion. Cette émotion, souvent qualifiée d’émotion négative, nous veut en fait du bien puisqu’elle est là pour nous prévenir du danger. Elle est là pour nous dire : « attention, mets-toi en sécurité, prends soin de toi, prépares, anticipes ce cas de figure » etc…
Notre vie aujourd’hui est telle que nous sommes moins confrontés de façon quotidienne à des risques pour notre survie. Beaucoup de nos peurs sont des peurs par anticipation. Nous ne sommes pas face au danger, mais nous l’imaginons ; Sauf que cela a le même impact pour notre cerveau : il produit alors des hormones comme le cortisol qui nous pousse à fuir.
D’après plusieurs études, seules 8% de nos peurs seraient fondées sur une menace réelle… Comme le dit Serge Marquis, « A notre époque, le cerveau ne fait plus la différence entre la perception de ce qui menace la survie et la perception de ce qui menace l’égo. Il déclenche la même réaction : lutte, fuite ou paralysie. » (voir l’article Quand notre égo se sent menacé). Et c’est là où cette émotion a ses limites. À nous alors de savoir la regarder en face pour évaluer si le danger est réel ou si nous pouvons finalement oser sortir de notre zone de confort, et accepter l’incertitude, inhérente à notre condition humaine.
La colère se déclenche face à une injustice, une attaque, une frustration. Cette émotion, souvent, elle aussi, qualifiée de négative, nous veut du bien puisqu’elle est là pour nous permettre de nous défendre, de nous affirmer, d’être entendu et d’obtenir un changement. Elle est là pour nous dire : « attention, on ne te respecte pas et ce n’est pas juste ». Notre corps va produire des hormones afin de nous donner l’énergie suffisante pour nous défendre. C’est pour cette raison qu’on associe souvent la colère à l’agression (physique et/ou verbale).
Mais on peut aussi utiliser cette énergie produite pour nous affirmer, nous respecter, tout en restant dans nos valeurs et le respect de l’autre (c’est ce que propose par exemple la communication non violente). La colère est une émotion en lien avec les limites : elle nous fait entrevoir les limites des autres (et oui, nous sommes des êtres humains parfaitement imparfaits et limités) et nous encourage à poser nos propres limites entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
La tristesse se déclenche face à une perte. Cette émotion nous veut du bien puisqu’elle est là pour signifier que c’est fini, qu’une page se tourne et que nous avons besoin de réconfort pour y faire face. Elle est là pour nous dire : « tu vis une perte, c’est dur. Accepte ce temps de digestion et va chercher le réconfort dont tu as besoin ». En général, nous allons y répondre dans un premier temps par un repli sur soi. Et progressivement, nous allons faire le deuil de ce que nous avons perdu.
« Derrière toute émotion négative, il y a une valeur bafouée et un besoin non satisfait. C’est ce manque qui provoque le malaise » ~ Geneviève Krebs
Ces mécanismes sont donc naturels, universellement partagés et pourtant, nous avons encore tellement de mal dans nos sociétés à les accepter. Voici un tour d’horizon des stratégies courantes mais contreproductives.
2/ Les stratégies courantes mais contreproductives
Nous avons tendance à nier nos émotions, à faire comme si nous n’en avions pas. Et si vraiment, nous n’y parvenons pas, alors nous essayons de remplacer cette émotion par une autre qui nous parait plus acceptable à nos yeux et aux yeux des autres.
Par exemple, hélas encore aujourd’hui, il est mal vu pour une femme de se mettre en colère. Quand elle le fait, elle est vite qualifiée d’hystérique. Alors, de nombreuses femmes cachent leur colère en tristesse. C’est ce qu’on appelle une émotion racket.
Les hommes rencontrent le même cas de figure avec la tristesse. « Un homme, ça ne pleure pas ». Alors, souvent les hommes vont cacher leur tristesse et affichée plutôt de la colère.
1ère stratégie donc : remplacer son émotion par une autre.
Le problème, c’est que ça brouille les messages. Il est alors plus difficile de comprendre le besoin sous-jacent. Et cela génère aussi de la culpabilité car au fond la femme sait qu’elle est en colère et n’aime pas ressentir ça. Et l’homme sait qu’il est triste, mais se trouve faible et anormal de ressentir ça… Les conflits internes sont intenses et ressurgissent forcément d’une façon ou d’une autre.
Autre stratégie : ne montrer aucune émotion. Enfin… tenir le plus longtemps possible en mode impassible, jusqu’à ce que ça explose. Car qu’on le veuille ou non, l’émotion est là, la réaction du corps est aussi en route. Et il faudra bien à un moment que la phase de décharge se produise…
Cette stratégie est donc difficilement tenable et de toute façon contreproductive pour l’animal social que nous sommes (voir l’article sur le driver Sois fort).
Autre stratégie : Dévaloriser les émotions
On reconnait notre émotion mais vite, on la met sous le tapis. « Ce n’est rien ». « ça ne signifie rien », « ça n’a pas lieu d’être là ». Oui, mais, c’est là… donc ce n’est sans doute pas par hasard…
Et sans nous en rendre compte, nous avons énormément tendance aussi à le faire avec les autres.
Face à la peur de quelqu’un, nous avons tendance soit à nier sa peur (« mais non, tu n’as pas peur »), soit à la disqualifier (« aucune raison d’avoir peur »), soit à essayer de façon trop précoce à réassurer (« tu vas y arriver, ne t’inquiètes pas »).
Face à la colère de quelqu’un, nous avons tendance soit à la nier (« calme-toi »), soit à la dévaloriser (« tu ne vas pas te mettre en colère pour si peu »), soit à nous autocentrer (« hé, moi, j’y suis pour rien »).
Face à la tristesse de quelqu’un, nous avons tendance soit à la nier (« il ne faut pas se mettre dans cet état pour ça »), soit à vouloir que la personne aille tout de suite mieux (« tu sais, c’est un mal pour un bien »).
Nous avons aussi ce type de réactions face à la joie de quelqu’un. Nous pouvons jouer les rabats-joie (« tu ne devrais pas te réjouir trop vite ») ou se mettre dans une compétition de celui qui est le plus heureux (« ah oui super nouvelle. Mais moi, j’ai eu encore mieux… »)
Enfin, on a les expressions hélas trop souvent employées, du style : « tu es trop sensible », « gardez vos émotions au vestiaire » etc…
Cette stratégie fait des dégâts considérables, car nos mots ne prennent absolument pas en considération la véracité de l’émotion de l’autre et/ou le besoin qui va avec. C’est violent pour la personne qui reçoit cela. Et hélas, nous sommes tous confrontés à cette violence quotidienne.
« Respecte les émotions des autres, car si cela ne signifie rien pour toi, peut-être que cela signifie tout pour les autres ». Anonyme
Toutes ces stratégies, qui finalement viennent à renier nos émotions ou celles des autres, conduisent à ce qu’on appelle des émotions élastiques. Vous voyez un élastique. Imaginez que vous tirez, tirez, et tirez encore. Il y a un moment où ça lâchera et ça reviendra en pleine face. Et bien voilà ce qui arrive très souvent…
Et c’est pour ça que nos émotions sont si mal vues. Alors que si elles étaient accueillies et utilisées comme elles doivent l’être, alors elles seraient bien plus aidantes. Donc c’est en cherchant désespérément à les nier qu’on en vient régulièrement à se les prendre en pleine face.
Enfin, ces stratégies génèrent souvent des cercles vicieux.
Car une émotion, si elle ne dure que quelques secondes ou minutes, peut laisser place à des sentiments qui eux, durent plus longtemps, et peuvent imprégner de façon considérable nos pensées. C’est ainsi que se mettent en place les ruminations et les croyances limitantes qui construisent nos cercles vicieux.
C’est alors sur nos pensées que nous avons le pouvoir d’agir pour casser cette spirale négative (lire l’article ce n’est pas ce qui vous arrive qui compte, mais ce que vous en faites)
Mais ce n’est pas simple. Car par exemple, la peur ou la colère augmente notre sensibilité aux informations négatives. La tristesse, elle, nous fait grossir les événements pénibles et nous amène à minimiser ceux qui pourraient nous apporter de la joie. Bref, c’est un travail de tous les jours de ne pas tomber dans cette spirale négative. Mais c’est nous et nous seul qui en avons la responsabilité.
« Quand vous êtes fermé et apeuré, le monde est hostile ;
quand vous aimez ce qui est, tout dans le monde devient le bien-aimé.
L’intérieur et l’extérieur coïncident toujours… Le monde est le miroir de votre pensée »Katie Byron
3/ Les stratégies gagnantes pour faire ami/ami avec nos émotions et celles des autres
Maintenant que nous avons vu tout ce qu’il faut éviter et que nous faisons quotidiennement, regardons de plus près ce qu’il est conseillé de faire.
Il est d’abord essentiel de distinguer nos émotions authentiques de nos émotions parasites (émotion élastique + émotion racket). Une fois, que l’on sait quelle est véritablement l’émotion que l’on ressent, et bien simplement, on l’accueille. Si elle est là, c’est qu’il y a une raison. Il n’est pas question de savoir si vous avez le droit ou non de la ressentir, ou si elle est appropriée ou non. Si elle est là, c’est que quelque chose l’a déclenchée. Ainsi, vous intégrez votre émotion. Vous la reconnaissez, vous ne vous jugez pas et vous ne cherchez donc pas ni à la nier, ni à la substituer par une autre.
Ensuite, vous pouvez chercher à comprendre. Quel stimulus a généré cette émotion ? Quel besoin cela vient-il souligner chez vous ?
Enfin, vous pouvez agir. Votre action pourra être de s’isoler, de chercher du réconfort, de pleurer, de rire, de se défouler. Bref, à vous de voir. Et si votre émotion est en lien avec l’autre, alors je vous encourage à lui exprimer de façon constructive ce qui se passe en vous et ce dont vous avez besoin pour préserver la relation grâce à la CNV
Durant notre vie, nous avons rencontré des tonnes de situations, de gens. Lesquels retenons-nous ? ceux qui nous ont touchés, ceux qui nous ont généré de l’émotion. Nos émotions sont des marqueurs de ce qui est important pour nous, ce sont des guides pour comprendre nos besoins et ce sont des vecteurs de liens avec les autres. Vouloir s’en passer est vain, contre-productif, mais surtout, nous ferait passer à côté de l’essentiel. Apprivoisons nos émotions, laissons-leur la place qu’elles méritent, et permettons aussi aux personnes autour de nous d’exprimer leurs émotions. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse se faire les uns les autres.
Je vous souhaite de belles rencontres émotionnelles.
Marion